C’est enseigner ce qu’on sait à celui qui ne le sait pas. A priori, quelle plus noble et plus utile tâche ? Pourtant ce mot a mauvaise presse aujourd’hui. Parlant de la crise de l’école, le recteur de l’Académie de Caen a déclaré : « Il faut imaginer un enseignement beaucoup moins didactique..., plus vivant, plus concret, qui mette la classe en activité, dans l’échange, la confrontation, le désaccord. » (Télérama, n°3394, p.8) Autrement dit, il faut faire parler les élèves, les pousser même à l’affrontement, et le rôle du professeur sera au départ, non point celui d’un dépositaire du savoir à transmettre, mais celui d’un animateur de débat.
Cette attitude fleurit dans le « pédagogisme » qui sévit depuis des dizaines d’années chez les hauts responsables de notre Éducation nationale (ex. Instruction publique). Elle conduit à la pire démagogie. Bien sûr, je ne suis pas pour qu’on revienne au cours ex cathedra, asséné aux élèves de façon univoque, comme un catéchisme, qui est le fait de répéter en écho (ekhein) une voix descendue d’en-haut (kata). Mais enfin, de cette caricature de l’enseignement à la simple écoute et prise en compte de discussions sans ordre et dignes du café du commerce, il y a un grand pas. J’ai souligné dans mon billet Naturel (Golias Hebdo, n°289), à propos du film de Laurent Cantet Entre les murs, que le cours ainsi conçu ne peut que dégénérer en une immense pagaille, ce qu’on voit effectivement à l’écran. Le masque tombant, si nécessaire pourtant à chacun pour que la vie en société soit vivable, chacun y va de son idée, alimentant à qui mieux mieux cacophonie et violence.
Il y a angélisme à s’imaginer que l’élève sait tout d’avance, et qu’on n’a pas besoin de lui apprendre quoi que ce soit. Les idées de Socrate et de Rousseau sur l’accouchement des esprits ne peuvent fonctionner qu’en relation individuelle, comme celle d’un élève avec son précepteur. Sinon il y a illusion. Écoutons la réponse qui est faite à celui qui en est dupe dans Micromégas de Voltaire (chapitre 7) : « Ce n’était donc pas la peine que ton âme fût si savante dans le ventre de ta mère, pour être si ignorante quand tu aurais de la barbe au menton. »
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Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, avec regroupement thématique des notions, et assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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