J’ai revu avec intérêt le film de Nanni Moretti, Habemus papam, sorti en 2011, et qui a été diffusé la semaine dernière sur Arte. On y voit un cardinal venant d’être élu pape, mais aussitôt refusant d’assumer son rôle de berger du peuple fidèle, en alléguant sa fatigue et son incapacité. L’incongruité de la situation, le comique de beaucoup de scènes, peuvent faire penser à une farce, et effectivement le film peut être vu comme tel. Mais par-delà l’amusement il recèle à mon avis un sens profond.
L’impression générale qui s’en dégage est que la vie n’est qu’un immense théâtre, que chacun ne fait qu’y jouer un rôle, et pour le spectateur l’arbitraire du casting, de la distribution de la pièce, saute aux yeux. On voit les cardinaux jouer au volley-ball, et mettre à cette activité autant de goût, et sans doute plus, qu’à leur vote en Conclave. Il y a même une scène où tous les dialogues ne sont faits que de répliques tirées de Tchékhov. Autrement dit, plus rien n’appartient en propre à quiconque. Et de façon significative le pape récalcitrant avoue lui-même sa vocation contrariée : il aurait aimé être comédien.
Le thème n’est pas nouveau, bien sûr. Déjà Pétrone disait : « Le monde entier joue la comédie ». Et Montaigne : « La plupart de nos vacations sont farcesques ». Shakespeare aussi a comparé la vie entière à un théâtre. À leur suite, le cinéaste s’est donc appliqué à montrer la nature totalement aléatoire des rôles sociaux, à arracher les masques. Cette démystification choquera sûrement certains, qui croient au sérieux de ce qui n’est qu’un Grand Jeu. Et ils verront là une destruction dangereuse, débouchant sur un vide désorientant, un nihilisme.
Pourtant je pense que ce film est salutaire. La foi elle-même acquiert maturité et solidité si, évitant tout ce théâtre vain, elle se contente de s’intérioriser dans l’âme de chacun. Quel besoin avons-nous d’être guidés, dirigés d’en-haut, fût-ce par un Souverain Pontife ? Ne pouvons-nous pas être autonomes, nous appartenir ? Prenons exemple sur ce pape malheureux, dont la tragédie de toute la vie a été, précisément, de ne pas s’appartenir.
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