Inventer, comme son origine en latin (invenire), a deux sens, un sens ancien : trouver quelque chose de déjà existant – et son sens moderne : créer quelque chose de nouveau. C’est à quoi j’ai pensé en lisant le très excitant livre de Nanine Charbonnel, Jésus-Christ, sublime figure de papier, préfacé par Thomas Römer, professeur au Collège de France, paru chez Berg International en 2017.
Ce livre, comme le souligne le préfacier, aurait pu s’appeler L’invention de Jésus, si ce titre n’avait pas déjà été celui de l’ouvrage en deux tomes de Bernard Dubourg, paru chez Gallimard en 1987-89. Mais le titre choisi déjà est magnifique : Sublime figure de papier ! Au fil de ma lecture je me suis senti en accord avec la démarche de l’auteur. Elle montre, avec une grande érudition, que la figure de Jésus qui nous est présentée vient d’un travail sur le texte biblique, au moyen du procédé du midrash, bien connu des rabbins. Pour les juifs d’aujourd’hui d’ailleurs le Nouveau Testament chrétien n’est qu’une réécriture inventive, dans les deux sens susdits du mot, du Premier.
Ainsi le récit de la Passion est-il un midrash ou un palimpseste de passages de la Bible juive. Les deux larrons par exemple ont été trouvés (au sens ancien) dans Isaïe 53/12. Puis ils ont été inventés au sens moderne en Luc 23/39-43, spécifiés en bon et méchant (le premier recevant une belle parole d’encouragement qui nous donne espoir à nous aussi, comme dit le Dies irae), ensuite nommés dans un apocryphe (Gestas et Dysmas), etc. Bref, c’est un magnifique travail de Littérature institutrice et instituante.
Tous ces textes sont des miroirs où nous prenons figure humaine. Nous en avons besoin pour vivre. On voile les miroirs dans les chambres des morts, et le vampire, un mort-vivant, ne se reflète dans aucun miroir.
Quoi que l’on pense de l’existence historique de Jésus et du contenu de son enseignement, ce beau livre ravira ceux qui s’attachent au travail de réécriture de rédacteurs inspirés par ce qu’ils ont lu, inventeurs aussi de nouveaux scénarios, sans lesquels nous n’aurions pas de cœur à vivre.
commenter cet article …