Elle est à la mode aujourd’hui. Ainsi je viens d’être hospitalisé pour une petite intervention, et ensuite j’ai reçu un courrier de la Haute Autorité de Santé me demandant mes impressions sur mon séjour en clinique. Mes réponses me dit-on seront importantes : « Elles permettront à votre hôpital ou clinique de connaître les points positifs de votre séjour et ceux qu’il peut améliorer, mais aussi de lui attribuer une note de satisfaction, consultable sur le site Scope Santé. »
Cette manie de notation se généralise à tous les domaines. Nous sommes constamment invités à dire ce que nous pensons de toutes les prestations qui nous sont offertes. Que pensons-nous du travail de tel ouvrier, de la compétence de tel médecin, de tel professeur, etc. ? J’imagine l’angoisse du prestataire, de se savoir ainsi épié et noté, au risque d’être blâmé et de voir étalées au grand jour sur Internet les appréciations dont il fait l’objet.
A priori, on pourrait penser que cet état de choses, qui nous vient du management des entreprises, est positif. Je crois que c’est exactement le contraire. Il développe l’esprit compétitif et consumériste, et surtout dans des domaines où il n’a rien à y faire, je veux parler de la santé et de l’enseignement. Tout le monde sait qu’en pareille matière le système ne peut fonctionner que sur un complexe autorité/confiance. Si on sape la confiance, le crédit naturel que nous faisons à une instance institutionnelle et à ses représentants, le système s’écroule. En outre, il est facile de tricher ici : on peut détruire une réputation, soit par incompétence soit par malignité, et qui contrôlera alors la validité de l’évaluation ?
Cette tendance est significative de notre modernité et de notre ambition de transparence, que l’on voit par exemple dans l’idéal du Web. Pensons à ce que disait Éric Schmidt, le PDG de Google : « Si vous faites quelque chose et que vous voulez que personne ne le sache, peut-être devriez-vous déjà commencer par ne pas le faire. » Or précisément je pense que cet idéal de transparence, d’origine états-unienne, est catastrophique, car il favorise la délation, et il fait fi de la nécessité de préserver l’individu particulier, qui ne doit pas être exposé sans filtre au regard et au jugement de tous. On sait qu’il y a sur Internet des lynchages médiatiques, qui peuvent aboutir à des suicides.
Décidément, je ne répondrai pas au courriel de la Haute Autorité de Santé.
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