Dans le passage d’une langue à l’autre, elle est d’une extrême importance. Ainsi il m’est venu la curiosité de relire la liturgie de l’Offertoire dans la messe catholique, aussi bien dans le texte latin originel que dans la traduction française que l’on en fait maintenant. Voici une des formules latines : « Hanc ígitur oblatiónem… quaesumus, Dómine, ut placátus accípias… » Et voici la traduction que j’en ai lue : « Cette offrande… nous te supplions donc, Seigneur, de l’accepter avec bienveillance… »
Le latiniste en moi a été immédiatement surpris. Manifestement le texte latin supplie Dieu de recevoir l’offrande en étant par elle « apaisé » (placatus). Voyez le mot français implacable, qui provient de ce placare latin, apaiser. Cela n’est pas manifestement cet « accepter avec bienveillance » qu’on nous propose, et qui est un adoucissement, une euphémisation de la formule latine.
On voit bien dans quelle intention cette mitigation a été faite. Car si Dieu doit être « apaisé », c’est évidemment qu’il est en colère. Et se profile ici une image assurément peu flatteuse d’un Dieu courroucé, qu’il faudrait apaiser par le sacrifice d’une victime (en latin hostia, d’où notre « hostie »). Ce Dieu colérique, sadique et pervers, figure dans maints textes littéraires de révolte, dont « Le Reniement de saint Pierre » de Baudelaire. Mais aussi dans le cantique Minuit Chrétiens !, où il est dit que le Sauveur est venu sur la terre pour « de son père arrêter le courroux ».
Voyez aussi comment on traduit la Première lettre de Jean, où l’on se gargarise ordinairement du fameux « Dieu est amour » (4/8), en oubliant ce qui suit : « Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés. » (4/10) Ce « sacrifice de pardon » ne choque pas apparemment. Mais le texte grec parle de « victime expiatoire » ou « propitiatoire » (hilasmos), mots qui évidemment choquent. Et au fond « pardon » ici ne convient pas, car si Dieu a été payé par le sacrifice du Fils, il n’a pas pardonné. Pardonner implique qu’on efface une dette, non qu’on la recouvre. Socin et les sociniens ont bien insisté là-dessus.
Quel besoin a-t-on de garder des textes qui renvoient à la plus barbare et archaïque vision de la Divinité ? Le recours au voile langagier ici est menteur. Le voile ment.

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