Elle peut être une bonne chose, quand elle survient en face d’un danger immédiat qui nous menace, et auquel elle peut nous permettre d’échapper, par la riposte ou la fuite par exemple. Mais elle constitue un vrai empoisonnement intérieur, quand elle se généralise au point de recouvrir celui qui l’éprouve d’un nuage d’angoisse ou de le submerger par une tempête de panique. Dans ce cas, comme dit Fassbinder, la peur dévore l’âme.
La crise actuelle du coronavirus montre bien ce glissement possible. Évidemment des précautions minimales sont à prendre pour se prévenir d’une contamination. Elles sont en notre pouvoir. Mais nous ne pouvons pas tout. Épictète distinguait fort bien les choses qui dépendent de nous de celles qui n’en dépendent pas. Aux premières il faut faire face. Mais des secondes il ne faut point se soucier, car ou bien elles n’arriveront jamais, ou bien elles sont inévitables et il faut les accepter.
Nous fonctionnons en fait par projections : ce qui tourmente les hommes, toujours selon Épictète, ce ne sont pas les choses elles-mêmes, mais l’idée qu’ils s’en font. Nous devons faire le ménage dans nos projections, apprendre à distinguer un danger réel d’un danger imaginaire.
On a vu des magasins dévalisés en produits de désinfection, et même en produits alimentaires comme des pâtes, voire en papier-toilette, dont on ne voit pas le lien avec le virus. La paranoïa et l'hypocondrie génèrent une panique irrationnelle. Chacun s’imagine qu’il est lui-même visé, et qu’il constitue un malade potentiel.
Prenons garde que sur ces peurs irraisonnées des manipulateurs peuvent surfer. Ainsi Knock, dans la pièce de Jules Romains, asservit tout un canton en persuadant ses habitants que la santé est un état précaire qui ne présage rien de bon, et que tout bien-portant est un malade qui s’ignore. C’est aussi sur les peurs que jouent bien des démagogues populistes.
On a vu aussi des groupes religieux intégristes prier pour être épargnés du virus. En si bon chemin, pourquoi ne pas aussi faire un lien entre son apparition et une culpabilité personnelle qui la justifierait, en vertu du vieux réflexe théologique de la rétribution, qui s’atteste encore dans notre langage : Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter cela ? Je gage qu’on va aussi entendre ce refrain, faisant du virus un châtiment divin.
Au fond, c’est bien souvent de la peur même qu’il faut avoir peur.

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