Elle n’est pas qu’un processus biologique, elle est faite d’espoirs, d’attentes, de rêves, etc. Si elle en est dépourvue, elle n’est qu’une existence morne, répétitive, sans saveur aucune. En fait la vie ne s’auto-justifie jamais. Elle n’a de sens qu’orientée vers autre chose qu’elle-même, une perspective qui la dépasse.
C’est ce qu’on voit actuellement dans les cas de dépression ou de détresse psychologique liés au confinement. Certes il est bon de préserver la santé des gens, et les mesures de sécurité sanitaire qui nous sont imposées sont peut-être nécessaires a minima. Mais il ne faudrait pas que soit franchi le seuil à partir duquel, au nom de la seule santé physique, on cantonne l’être humain dans l’élémentaire de la survie, et on détruit en lui cet « être des lointains » qui, selon Heidegger, le définit. Je ne dis pas que ce seuil est actuellement franchi, mais qu’il faut prendre garde à la destruction spirituelle menaçant ce type de mesures. La santé n’est pas tout, et à quoi sert de vivre, si on ne sait pas pourquoi on vit ?
Renversons donc ici les points de vue. À la formule « Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir », banale et matérialiste, préférons son inverse : « Tant qu’il y a de l’espoir il y a de la vie. » Au classique et ordinaire « Tant que je respire, j’espère » (Dum spiro, spero), préférons la formule plus fine : « Tant que j’espère, je respire » (Dum spero, spiro). Je ne vis vraiment en effet que si je me projette sur autre chose que ce que je connais maintenant – surtout enfermé entre les murs d’un appartement trop petit, qu’il m’est interdit de quitter. Songeons à ce chien de La Fontaine, dans la fable Le Loup et le Chien, qui est certes en bonne santé, mais qui est esclave de son maître, comme le montre le collier qu’il porte, et prisonnier de sa niche. Aussi le Loup préfère-t-il la liberté d’aller et venir, quitte à risquer de mourir.
Les Anciens l’avaient déjà remarqué : en faveur de la vie, on peut perdre les raisons de vivre (Et propter vitam vivendi perdere causas). J’espère que nos gouvernants savent bien que si on peut mourir du coronavirus, on peut aussi mourir de détresse, de désespoir, d’absence de projet. Sans doute faut-il relativiser la seule santé du corps. Et à la formule de politesse des Romains qui se la souhaitaient mutuellement (Vale : Porte-toi bien !), préférer celle, plus subtile, des Grecs qui se souhaitaient la joie (Khaïre : Réjouis-toi !).

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