Nous venons d’y entrer. Et comme à l’habitude tout le monde se prend à espérer que demain sera meilleur, à l’image de la renaissance de la végétation. Ce réflexe est d’autant plus présent aujourd’hui que la crise sanitaire pèse beaucoup sur le moral des populations.
Bien entendu je ne veux pas le désappointer. Simplement je voudrais qu’ici on fasse preuve d’un minimum de réflexion. Si le « monde d’après » comme on dit n’est que la répétition du « monde d’avant », alors la désillusion sera inévitable. On peut redouter en effet que la consommation de biens matériels et la frénésie de déplacements ne redeviennent les comportements habituels, au moins pour les habitants des pays riches. Et alors nul véritable bonheur ne sera possible pour les esclaves du Divertissement, qui les tiendra éloignés d’eux-mêmes. On ne peut le trouver dans la fièvre acheteuse ni dans la manie ambulatoire.
Aussi il faut bien réfléchir en général au fait que la réalisation totale d’un espoir peut être dangereuse, car le cœur peut cesser d’y battre. Là est la profonde ambiguïté du printemps. Il fait désirer autre chose que ce qu’on connaît, la plénitude de l’été par exemple, mais ce dernier peut être en grand retrait par rapport à la véhémence du désir qui l’a précédé et souhaité. C’est pourquoi Flaubert parle, au début de Bouvard et Pécuchet, de la « tristesse des jours d’été ».
Il n’est pas sûr, au rebours de ce que dit le poète, que dans la vie les fruits passent toujours la promesse des fleurs. Tout simplement parce qu’il y faut toujours laisser, au moins un peu, à désirer. Les dieux peuvent nous punir en nous exauçant. Ce n’est pas pour rien que dans le récit de Création de la Bible hébraïque Dieu s’autofélicite au Jour Un, jour de l’Unité, et ne le fait pas au deuxième jour (Genèse 1/6-8). Quand quelque chose a commencé, le projet initial perd de sa magie. La vraie fête est la veille de la fête, le vrai dimanche le samedi soir, et le meilleur moment en amour quand on monte l’escalier.
Je ne voudrais pas gâcher pour les lecteurs la beauté printanière des jours que nous vivons, d’autant que pour les croyants c’est la saison de Pâques, ou de la Résurrection. Simplement je donne ici un conseil de prudence, compréhensible au moins par les esprits idéalistes. Aimons donc le printemps, espérons ce qui le suivra, mais modérons un peu l’intensité de ce désir, en tenant compte que parfois on est heureux avant de l’être.
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Ce texte est à paraître dans le journal Golias Hebdo. D'autres textes comparables figurent dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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