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n réhabilite aujourd’hui l’art du XIXe siècle appelé pompier, ainsi nommé à cause des casques et cuirasses peuplant ses scènes antiques, et qui font penser effectivement aux couvre-chefs des soldats du feu. On redécouvre Bouguereau, le musée d’Orsay à Paris expose Jean Léon Gérôme, et le musée Fabre à Montpellier Alexandre Cabanel : le succès y est si grand que l’exposition vient d’être prolongée.
Cette peinture léchée et académique est purement décorative et ornementale. Elle relève de l’immense domaine du kitsch, mot caractérisant un sous-produit, un ersatz, fabriqué à vil prix et en série : pensez à la vannerie en plastique, ou au simili dont on se contente en place de cuir. On n’en voit pas le côté toc et le mauvais goût : si c’est un peu moins bien, en tout cas c’est bien moins cher.
Pour l’art authentique il ne s’agit jamais d’orner la vie, de disposer des nains de jardin sur la pelouse d’une villa Sam’suffit pour donner l’image d’un pseudo-paradis. Son but n’est pas d’idéaliser le réel, mais de réaliser l’idéal – ou au moins de s’y efforcer, en souffrant de ne pas y parvenir toujours.
Nietzsche disait qu’aucun artiste ne tolère le réel. Dans la même optique Marcuse, dans L’Homme unidimensionnel, caractérise l’art comme le « Grand refus ». Et selon Malraux, « l’artiste n’est pas le transcripteur du monde, il en est le rival. »
L’art pompier ignore ce divorce, il se contente d’enjoliver, d’embellir le monde – pour le faire momentanément oublier. C’est pour cela qu’il ne déforme jamais, la déformation cohérente ou la stylisation signifiant toujours la recherche d’une transcendance. Il ne rivalise pas avec le monde, il l’accepte. Sur lui il jette au fond un regard matérialiste et cynique : celui-là même de l’homme unidimensionnel.
Art strictement humain, contemporain du positivisme tueur des dieux. La Vie de Jésus de Renan se termine ainsi : « Ce fut le plus grand homme qui ait jamais existé. » Phrase bien perfide : le plus grand homme, certes, mais enfin un homme – rien qu’un homme, comme vous et moi...
Internet regorge d’images kitsch : les photos de chats, dans un panier ou non, font beaucoup de buzz. Elles n’ont rien à envier en platitude aux anciens calendriers des Postes. Ceux qui s’y laissent prendre, en fait, confondent sensibilité et sensiblerie, sentiment et sentimentalisme, émotion et signes de l’émotion. [v. Obscénité]
Il n’est pas étonnant que notre époque, qui prise fort les parcs de loisir artificiels et irréels, se reprenne d’amour pour le kitsch. L’homme moderne type, c’est le touriste en bermuda à Disneyland, peut-être sans casque de pompier, mais avec sur la tête un bob publicitaire, et aux pieds des tongs à marguerite.
9 décembre 2010
> Ce texte, initialement paru dans Golias Hebdo, est extrait de ma Petite philosophie de l'actualité, tome 1 (lien).
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> On peut voir aussi, sur cette question du Kitsch, l'ouvrage que je lui ai consacré, disponible en deux versions (papier et e-book) :
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