Je reprends maintenant ici la publication d'extraits de mes ouvrages. A l'occasion je reviendrai à l'actualité (politique, guerre en Ukraine...).
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os jugements moraux sont relatifs à l’état de nos organes et à l’acuité de nos perceptions.
Diderot l’a bien montré dans sa Lettre sur les aveugles. Ces derniers n’ont pas la même éthique que nous. La plus grande faute pour eux est le vol, parce qu’on peut les voler sans qu’ils s’en aperçoivent. Et à l’inverse de nous, puisque ne voyant pas, ils ne font aucun cas de la pudeur : n’était l’inclémence du temps, ils iraient volontiers tout nus.
C’est à quoi j’ai pensé en lisant un intéressant article : La Suisse interdit de plonger les homards vivants dans l’eau bouillante, au nom du bien-être animal (Source : Franceinfo avec AFP, 11/01/2018).
Désormais ces crustacés devront être assommés au moyen de chocs électriques entraînant la destruction de leur cerveau avant d’être mis à mort. On pense qu’ils possèdent des systèmes nerveux complexes et qu’ils ressentent de la douleur lorsqu’ils sont ébouillantés. Il est vrai qu’ils ne crient pas, pas plus que le pauvre poisson agonisant de longues minutes à l’air libre, victime du brave pêcheur à la ligne qu’on dit pourtant bien pacifique ! S’ils le faisaient, notre ouïe les prendrait en pitié.
« Nous avons, dit Diderot, de la compassion pour un cheval qui souffre, et aucune pour une fourmi que nous écrasons sous notre talon ». Ici c’est la vue qui est en question : le gros animal nous émeut, pas le tout-petit. On plaint le taureau torturé à la corrida, mais non l’escargot qu’on ébouillante, autre bête à cornes pourtant.
De grandes catastrophes se produisent, à leur échelle, chez les plus petits êtres vivants, ainsi qu’il se voit par exemple dans le film Microcosmos – Le Peuple de l’herbe, sorti en 1996, et consacré à la vie périlleuse des insectes.
Pourrions-nous alors faire comme ces disciples du jaïnisme indien, chez qui le principe de non-violence (ahimsâ) est si respecté que certains portent devant leur bouche un écran qui les empêche d’avaler les insectes, ou balaient la route devant eux pour ne pas écraser le moindre être vivant ?
Les végétariens même oublient qu’un végétal, quel qu’il soit, est lui aussi vivant. Que sait-on de ce qu’il ressent ? Et si la carotte criait quand on la mange ?
En fait nous ne vivons qu’en tuant du vivant. La vie de tout être n’est possible que par la mort d’autres êtres. C’est à ce prix qu’elle se perpétue, et le monde n’est qu’un immense massacre. La nature est autophage : elle se dévore elle-même. Comme disait Victor Hugo :
« Le monde est une fête où le meurtre fourmille,
Et la création se dévore en famille. »
– Faut-il alors être reconnaissant à l’imperfection occasionnelle de nos organes, qui nous aveugle à cette vérité ? [v. Écologisme]
Article paru dans Golias Hebdo, 1e février 2018
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Cet article est extrait du livre suivant :
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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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