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ans la foulée des attentats de Paris et de Saint-Denis, le slogan Pray for Paris (« Priez pour Paris ») a inondé les réseaux sociaux pour rendre hommage aux victimes du terrorisme. Il a dû sembler naturel à beaucoup, surtout ceux qui sont habitués aux mœurs états-uniennes, mais personnellement je le trouve à la fois bizarre, et dangereux.
Bizarre, parce que prier pour un mort implique nécessairement qu’on veut lui venir en aide. Et pour quelle occasion, sinon à la pensée du Jugement qu’il va subir, lui ou son âme, de la part d’un Dieu compris comme un Juge suprême ? Il faut donc aider le défunt en intercédant pour lui dans l’examen dont il va être l’objet.
Je sais bien que tous ces PPL (« Priez pour lui ») inondent tous nos cimetières. Mais ne suffirait-il pas au moins ici, s’agissant de victimes totalement innocentes, de penser à elles ? Elles n’ont nullement besoin de notre aide.
D’autre part, ce slogan est dangereux par l’image de Dieu qu’il implique. Il est vu comme un être transcendant, antérieur et extérieur à nous, dont il faut s’attirer les bonnes grâces : si on lui obéit, on en espère une récompense. Mais si on lui désobéit, il est fondé à nous punir. Au fond, le ressort essentiel est la peur qu’on a de lui, et le désir de s’en protéger.
De ce point de vue, les auteurs de ce slogan se situent exactement au même niveau que les agresseurs des malheureuses victimes, dont l’option religieuse est absolument identique à la leur : un Dieu vindicatif qu’il importe, en s’aplatissant devant lui et en agissant pour lui complaire, de se rendre favorable.
Une attitude authentique de résistance serait, en la matière et chez les croyants même, un changement total de la conception de Dieu, ou du divin. Peur et espoir, il faudrait comprendre que tout cela est en nous-mêmes, et qu’il est inutile de les projeter à l’extérieur de nous, de créer une quelconque entité transcendante qui les justifierait.
Et non seulement inutile, mais dangereux. Car l’homme n’est cruel qu’à proportion qu’il se sent faible. Comme dit Sénèque : Omnis ex infirmitate feritas est – Toute cruauté dérive de la faiblesse. Plus petit est et se sent le chien, plus fort il aboie.
L’homme fait donc payer aux autres la soumission où il se met face à son Idole, la frustration qu’il en ressent, surtout s’il s’aperçoit que les autres n’ont pas la même option et le même mode de vie que lui.[1]
Article paru dans Golias Hebdo, 3 décembre 2015
[1] On peut voir des développements à toute cette chronique dans mon ouvrage Peur de son ombre – La lumière est en nous,
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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