Rendre au corps d’un défunt les honneurs funéraires est un signe d’humanité et de culture. On définit même l’homme comme un être qui enterre ses morts. C’est pourquoi la décision du Kremlin refusant à la mère d’Alexei Navalny, assassiné dans son lieu d’incarcération, de lui rendre le corps de son fils est un signe certain de barbarie et, en outre, de sadisme.
Nombreux sont les exemples de situation analogue. Dans l’Iliade Priam, le père d’Hector, demande à Achille, meurtrier de ce dernier, de lui rendre tout de même le corps de son fils, afin qu’il puisse lui assurer une sépulture décente. Pareillement dans Antigone de Sophocle l’héroïne ne supporte pas que le corps de son frère mort soit privé de funérailles, selon les ordres du tyran Créon. Aussi se dresse-t-elle contre ce dernier, et se charge-t-elle elle-même de la sépulture : pour elle, les lois de la conscience personnelle doivent passer avant les lois barbares d’un état tyrannique et insensible.
C’est le cas de l’état russe actuel. Il fait litière des sentiments minimaux d’humanité, non seulement à l’égard de ses ennemis, mais encore à l’égard de ses ressortissants même. Ainsi dans les vagues successives d’assaut menées par ses troupes contre les Ukrainiens, il laisse sur place les corps de ses soldats morts, sans s’occuper de les enterrer. On dit même que qu’il fait ce choix pour ne pas avoir à payer une pension aux veuves, qui n’y pourront prétendre en l’absence du corps de leur mari. En fait ses troupes sont pour lui seulement de la chair à canon. Le défunt Prigogine parlait bien ici du « hachoir à viande ». Les blessés même sont laissés sur place, et dans bien des cas ce sont les Ukrainiens qui se sont occupés de les soigner.
On nous dit que Poutine veut restaurer l’Empire russe tel qu’il était à l’époque soviétique. Mais ce dernier avait au moins, comme substrat idéologique, même si c’était seulement en façade, l’idéal communiste qui pouvait faire un semblant d’illusion. Tandis que le maître actuel du Kremlin n’a pas cet oripeau pour couvrir sa cruauté. C’est un autocrate sadique, comme un chef de gang mafieux. Les valeurs, quelles qu’elles soient, lui sont inconnues. Il ne reconnaît que la loi de la force brute et brutale. Il a bonne mine quand il critique la décadence de l’Occident en termes de valeurs, alors que lui n’en a et n’en applique aucune.
commenter cet article …