On ne naît pas pauvre, on le devient. Ou alors on provient d’ascendants qui eux-mêmes ne sont pas nés tels, mais le sont devenus, à tel ou tel moment de l’histoire, et du fait de telle ou telle circonstance. Tous les hommes ayant droit, me semble-t-il, à un égal destin, la pauvreté renvoie forcément à la question de la justice et de l’injustice. Donc à l’analyse des causes qui l’ont provoquée, et aux moyens d’y remédier.
J’ai regardé l’excellente émission Les Défis de l’Église, diffusée sur Arte le 1e avril dernier. On s’y demandait par exemple ce qu’allait faire le nouveau pape François vis-à-vis de la pauvreté. Avec un tel nom, celui de l’apôtre même de la pauvreté, François d’Assise, on s’attendait qu’il la mît au centre de ses préoccupations. Et effectivement on a vu qu’il s’en préoccupait beaucoup, menant lui-même une vie « pauvre », et alimentant son image de « pape des pauvres ».
Mais l’émission montrait bien qu’il y a deux façons de s’intéresser à la pauvreté : la première est celle de valoriser les pauvres je dirai abstraitement, de parler comme faisait déjà Bossuet dans un de ses sermons de leur « éminente dignité », et donc de limiter la considération qu’on a pour eux à la charité qu’on leur témoigne. La seconde façon est de faire les concernant l’analyse dont j’ai parlé, d’affirmer leurs droits, et d’œuvrer pour faire cesser l’injustice dont ils sont victimes. À cette tâche s’était vouée en Amérique latine la théologie de la libération. On sait que l’Église catholique la considère depuis toujours avec suspicion, comme « flirtant » avec le marxisme.
Le nouveau pape jusqu’ici a choisi de s’en tenir à la première voie, celle de l’intérêt compassionnel. Au mépris par exemple de ce que disent les Béatitudes, qui ont comme un petit air de l’Internationale : « En marche, les humiliés… », pour reprendre la traduction de Chouraqui. Quant à la théologie de la libération, elle agonise dans les pays mêmes où elle est née. Ce qui y prospère aujourd’hui, c’est le mouvement évangélique, où la contagion émotionnelle l’emporte, à grands renforts de musiques et de chants, sur toute velléité d’analyse sociale, froide et objective. Il est bien dommage que le pape non plus ne se mêle pas d’analyse sociale concrète, qu’il aime tant les pauvres, mais ne s’occupe pas des droits qu’ils ont à vouloir sortir de leur état.
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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