J’entends par ce mot ici l’activité d’un pasteur s’occupant de son troupeau de fidèles. Or il se trouve que dans la présente crise du coronavirus le conseil scientifique chargé d’éclairer le gouvernement vient de lui conseiller de favoriser la mise en place d’un « soin pastoral » à l’intention des citoyens, et pour cela de créer « une permanence téléphonique nationale d’accompagnement spirituel inter-cultes », dont la gestion sera confiée aux représentants des principales religions présentes sur notre territoire (Source : ufal.org, 27/03/2020).
Il est évident que cette mesure contrevient totalement au principe de laïcité, la république chez nous ne reconnaissant aucun culte. Beaucoup l’ont déjà remarqué. – Mais ce qui m’intéresse ici est l’idée même qu’il faudrait à un ensemble d’hommes un « pasteur » pour les guider.
J’ai déjà souligné à propos du film Les Éblouis les dangers d’infantilisation qu’il y a dans cette façon de voir (voir mon billet Berger, Golias Hebdo, n°605). Cette conception pastorale de la religion réduit les fidèles, les ouailles (littéralement les petites brebis : oviculae) à une totale hétéronomie, alors qu’on leur souhaiterait au contraire l’accès à l’autonomie. Le Grand Inquisiteur dans Les Frères Karamazov de Dostoïevski fait tomber le masque ici : les dignitaires de l’Église dispensent les croyants de base de réfléchir, car la réflexion serait trop angoissante pour eux. Sois sans crainte, petit troupeau : nous pensons pour toi.
Mais ce raisonnement est tout à fait transposable au monde politique. Le rôle du chef ou du guide (certains sont de très fâcheuse mémoire) est de penser à la place des citoyens, éventuellement de les rassurer, de les consoler. Le « soin pastoral » devient une nouvelle figure de ce Care dont on parle beaucoup aujourd’hui (Prenez-soin de vous, etc.), dans une modalité paternaliste.
Tocqueville a bien montré, dans un chapitre lumineux de De la démocratie en Amérique (IV, VI), que la dépossession du citoyen au bénéfice de l’État et de ses représentants est une tentation constante des sociétés modernes, qui les mène à aliéner leur liberté au profit du Pouvoir, et au despotisme doux de ce dernier. Par apathie, les hommes se laissent guider. Or, en particulier dans une crise comme celle que nous connaissons, on n’a pas besoin de consolation, mais simplement d’informations. Sinon on reste irrévocablement dans l’enfance. Bonne nuit, les petits !
Nota : Pour voir la suite de l'information mentionnée au début de cet article, suite en date du 27 avril 2020, cliquer ici.
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