Normalement, par sa grande ductilité, la clarté et la précision de ses termes, il éclaire la complexité des situations qui se présentent dans la vie. Mais encore faut-il y avoir recours, et faire l’effort nécessaire pour bien les explorer et les différencier. Ce n’est malheureusement pas le cas avec les émoticônes, qui se répandent de plus en plus à partir d’Internet. Par souci de rapidité et surtout par paresse, elles remplacent en le simplifiant tout ce que le langage lui-même pourrait caractériser en le spécifiant.
Aime-t-on quelque chose ? On le dit au moyen d’un pouce levé. On ne dira pas bien sûr pourquoi on aime, et de quelle façon particulière : elles sont en effet très nombreuses, et bien différentes. Mais on passe outre cette complexité, et à force de le faire on finit par ne plus la voir ou la soupçonner. Reste une bouillie approximative, qui même finit par ne plus rien signifier du tout. Que veut dire par exemple le smiley Wouah !, disponible sur Facebook ? L’étonnement, peut-être. Mais de quelle nature précisément ? On ne le sait pas. On est proche du simple aboiement, à quoi est réduit l’internaute qui l’emploie : libre à lui alors de vouloir régresser à l’animalité...
Prenons garde en outre que les signes et simples langages du corps ne sont pas universels. Le pouce levé est chez nous signe d’approbation, mais c’est la plus vulgaire des insultes gestuelles dans certains pays du Moyen-Orient, comme l’Iran et l’Irak, analogue au doigt d’honneur dans beaucoup d’autres parties du monde. Il peut alors y avoir des contresens tragiques.
En vérité, ce pouce levé, comme les autres émoticônes, ne renvoient pas à une quelconque réflexion préalablement approfondie, mais sont là simplement pour alimenter un contact. Leur fonction est analogue à ce qu’on appelle la fonction phatique du langage. Ainsi quand on rencontre quelqu’un on peut parler du temps qu’il fait, mais ce n’est pas le temps qui est en question : on veut simplement de la chaleur humaine.
Le message est le médium lui-même, disait Mac Luhan pour caractériser notre civilisation de médias. Le contenu s’y réduit au contenant. Pareillement la signification ici est purement formelle, un peu comme pour ces mèmes répandus sur le Net de façon virale et alimentant le buzz. Ce qui compte n’est pas ce qui est dit et repris à qui mieux mieux, mais sa capacité à se répandre rapidement pour créer une impression de connivence générale, mais qui reste très superficielle. Le comportement d’ensemble est totalement grégaire, à l’image de ce mouton qui est, selon Rabelais, le plus inepte animal du monde.

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