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21 février 2025 5 21 /02 /février /2025 02:00

I

l y avait dans une petite partie du monde, qui se voulait progressiste, des esprits novateurs désireux de contester tout ce qui jusque là avait construit la culture dont ils avaient hérité. Ils voyaient ce qu’ils pensaient en être l’arbitraire, et les injustices qui en provenaient. Et la plus grande pour eux était la domination millénaire, patriarcale, exercée par un sexe sur l’autre.

 

Aussi dans leur frénésie de déconstruction « éveillée » (c’est par ce mot, woke, qu’ils caractérisaient leur entreprise), s’acharnaient-ils, par le poids de lobbys influents, à réduire cette domination, par exemple en recourant systématiquement, dans le langage, à des vocables non genrés. Ainsi, dans telle nation fort en avance de ce point de vue, les parents furent-ils invités à choisir n’im­porte quel prénom pour leur enfant, sans tenir compte de son sexe : on pouvait appeler une fille Jack, et un garçon Lisa.

 

Désormais les prénoms unisexes, qu’on dit épicènes, comme Dominique ou Claude, etc., ne suffisaient pas. Il fallait aller plus loin, et tout « neutraliser ». Ainsi on s’avisa de remplacer les pronoms « il » ou « elle » par un pronom neutre et polyvalent, « iel », pour parler d’une personne sans mentionner son sexe.

 

Sans se douter qu’un masculin pouvait avoir dans la langue une fonction de neutre, et revêtir une signification générale, non genrée, on s’appliqua à bien spécifier toujours les choses, et c’est ainsi par exemple que les « droits de l’homme » furent renommés en « droits humains ». On fit la chasse partout aux équivoques (supposées) du langage sous prétexte qu’un des deux sexes y était oublié et y devait désormais être inclus. Et dans la graphie on inventa pour ce faire l’écriture inclusive, dont on  ne se demanda pas si elle était même lisible. L’essentiel était qu’on y fût inclus(e).

 

La méfiance était telle vis-à-vis de l’inégalité qu’on alla très loin dans la neutralisation. Ainsi une fédération de bowling annonça son intention de fusionner les tournois féminins et masculins afin de neutraliser ce sport. Des politiciens proposèrent l’installation de toilettes neutres pour que les citoyens ne fussent plus obligés de se catégoriser en dames ou messieurs, etc.

 

Mais allait-on « neutraliser » l’haltérophilie, ou la boxe ? On en pouvait en sourire si on n’y voyait une intention d’imposer à tout le monde une même façon de voir. On ne se demanda pas si là était le propre même du totalitarisme, et si derrière tout cela ne se profilait un fanatisme normatif inquiétant.

 

Le vocabulaire se fit policier. Ainsi un parti Vert préconisa-t-il la mise en place de « pédagogues du genre » dans toutes les écoles maternelles, pour agir en « chiens de garde » du processus de « neutralisation ».   « Chiennes de garde » était aussi le nom dont s’affublèrent les gardiennes du sexe opprimé. On n’admettait plus qu’il y eût une différence entre garçons et filles, par exemple pour les jouets et les vêtements.

 

*

 

Ces comportements, quelque justifiés qu’ils furent à l’origine (et en effet certains le furent bien), dressèrent contre eux maints parents désorientés. Pauvres enfants, à qui on voulait enlever leurs petites autos, s’ils étaient des garçons, ou leur landau, s’ils étaient des filles ! Les dégâts psychologiques étaient incalculables : on allait culpabiliser le choix de tel ou tel jouet, sous prétexte que plus tard cela serait source de stéréotypes !

 

Et si l’enfant était porté naturellement vers ce qu’on lui interdit, au nom de quoi faire cette interdiction ? Si un petit garçon voulait s’habiller en pirate, et une petite fille en princesse, qui était-on pour les en empêcher ? Qui était-on pour jeter la confusion dans ces petits esprits, si fragiles encore ? Ce funeste lobby liberticide, qui pouvait prendre le pouvoir chez eux, ne faisait qu’opérer un nouveau Massacre des Innocents !

 

Sans compter, sous couvert de neutralité, l’incitation sournoise à modifier son genre. Là les esprits vacillaient. De quel droit était faite cette incitation, pourquoi pouvait-on laisser croire que l’on admettait la possibilité du changement de genre, simplement par le fait d’en parler à des enfants au mépris de leur âge ?

 

Mais on ne se demanda pas si le discours qu’on tenait ainsi n’était pas aussi simplificateur et manichéen que celui auquel on s’opposait. On projeta sur ceux que l’on incriminait les propres peurs que l’on avait en soi. Et nulle part dans ces débats il n’y eut, d’un côté ou de l’autre, de réflexion raisonnable.

 

*

 

À quelque temps de là, dans le plus puissant des pays concernés, il y eut un gigantesque séisme, où tout ce qui s’était voulu progressiste fut radicalement balayé par la voix du peuple. Pour combien de temps, on ne le sait, d’autant que ce changement se diffusait partout ailleurs. Il a nom dans la langue de ce pays Backslash, et dans la nôtre : « Retour de bâton ».[i]

 

[i] Slate.fr, 27/05/2012 (pour les novations en Suède), et Wikipédia, articles Woke et Backslash.

 

*

Ce texte est tiré de l'ouvrage suivant (cliquer sur l'image) :

 

D.R.

 

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13 août 2024 2 13 /08 /août /2024 01:00

Je republie un article paru au mois d'août de l'an dernier. Le mois d'août actuel est hélas identique dans mon département.

 

Sitôt ouverte la porte de la maison, j’entre dans une fournaise. Aucun vent perceptible, une immobilité générale, tout est figé et hostile. D’habitude c’est le mouvement qui est signe de vie. Mais ici il n’en est rien, nul indice ne le laisse supposer. Nulle présence autre que celle d’une lumière aveuglante. La suffocation m’envahit. Vite je rentre chez moi.

Je sais bien que, comme disent les spécialistes, cet état est appelé à se reproduire. Mais jusqu’ici je ne le croyais pas. Ou du moins j’espérais autre chose. Par exemple, que parvenu à la fin de l’été cette année au moins j’y échapperais. Vaine présomption. Je suis maintenant rendu à la lucidité pour tout ce qui peut se produire dans l’avenir. Blessure inévitable.

Évidemment m’assiègent des réminiscences. Fin du monde, destruction universelle, apocalypse… L’imaginaire est fécond qui les présente et transmet. Mais pour trouver un embryon d’issue ou de consolation, et me souvenant de l’absence totale de vent, je préfère ici ce que dit l’Évangile de Jean.

Le vent souffle où il veut. Même invisible, on entend sa voix. Là est ce qui permet à chacun de renaître. Il faut se mettre à l’écoute du Vent, le laisser s’installer en soi. Ce souffle est salvateur, vivifiant (zôopoion, vivificans, comme dit le Credo de Nicée).

Bien sûr il s’agit aussi du Souffle de Dieu, via son Esprit. Mais je préfère laisser de côté ce catéchisme, où on peut ne pas voir et sentir vraiment les choses. Ce qui est directement sensible me parle davantage. Quand donc se lèvera ce souffle, ce vent, qui me redonnera vie ?

Demain ? Plus tard ? La météo parle d’une demi-semaine. Pour l’instant je reste prostré, suffoquant, sans vie. J’attends…

 

… Il me souvient aussi de certaines périodes pénibles de ma vie passée, où j’étais dans la même situation. Rien ne s’était produit de ce que je rêvais. Et de ce que j’avais le rêve était absent. L’immobilisation, l’abattement sur place, étaient mon lot. C’était un abandon sans vie, un dessèchement désertique, une atmosphère sans vapeur d’eau. Je n’avais plus alors, comme aujourd’hui, que la part de l’attente.

Je pense que chacun, pour peu qu’il ait vécu, a connu pareilles canicules dans sa vie. Elles font partie du fait même de vivre, et pourtant on n’y vit pas. Ils m’ont toujours surpris, ceux qui ont peur de la mort. Ils oublient qu’on meurt déjà plusieurs fois dans la vie, et que certaines morts sont pires que la mort même.

Mais de ces morts successives on peut renaître, pour peu que revienne le Vent, l’Élan. Et reprendre sa marche, à l’image du voilier dont enfin se gonfle la voile.

Quand ?

20/08/2023

 

D.R.

 

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27 mai 2021 4 27 /05 /mai /2021 11:14

J'ai toujours pensé que ce ne sont pas celles qui nous sont imposées par la biologie et les liens du sang, mais celles que l'on choisit librement et au sein desquelles on trouve un amour effectivement partagé. Je viens d'être conforté dans cette pensée en ayant vu hier soir, sur Arte, le film d'Hirozaku Kore-eda, Une affaire de famille (lien), qui a obtenu la Palme d'Or au Festival de Cannes 2018.

 

De même que le vrai Père n'est pas le père selon la chair, mais celui qui adopte l'enfant, comme je l'ai signalé hier (lien), de même la vraie famille est une famille aimante, comme on le voit dans le film. Elle "adopte" une petite fille, l'élève et la fait grandir. Peu importent alors ses parents réels, qui dans le film sont décevants parce que dépourvus d'amour. Sa vraie famille est ailleurs.

 

L'amour que l'on porte à sa famille est pour moi basé sur le choix qu'on en a fait. Cela s'exprime très bien dans le mot français dilection, qui vient du latin diligere, choisir (voyez aussi : élection).

 

J'ai défendu ce type d'amour dans mon livre Savoir aimer - Entre rêve et réalité (lien). J'ai montré qu'à côté de l'amour de désir ou de passion (éros), de l'amour de bienveillance (agapé) et de l'amour d'amitié (philia), il y a, couronnant les deux derniers, l'amour de choix (dilectio), dont l'amour qu'on a pour la famille qu'on s'est choisie librement est un bel exemple. Les liens n'y sont pas imposés au départ, mais à créer.

 

A l'inverse, voyez ce que dit Eluard de Violette Nozière, meurtrière de ses parents : "Elle a brisé l'affreux nœud de serpents des liens du sang."

 

 

Voici maintenant un texte, mis sur un autre site, où j'expose tout cela :

***

 

Pour voir la liste de tous mes livres édités chez BoD, cliquer : ici.

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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