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elles que font les hommes sont bien aléatoires, comme ils le constatent à l’expérience. Pourtant tous n’ont pas la sagesse de se rendre à cette évidence, et persistent à leur faire un immodéré crédit.
Ainsi ai-je appris, selon une information rapportée par The Guardian, qu’au Royaume-Uni le ministre des Retraites Steve Webb a proposé que des experts déterminent l’espérance de vie des futurs retraités pour que ceux-ci puissent adapter la gestion de leurs finances à leur date de décès estimée.
Des experts pourraient analyser des facteurs comme la consommation de tabac, les habitudes alimentaires, le code postal ou la catégorie socio-économique pour déterminer une espérance de vie probable. (Source : Slate.fr, 17/04/14)
Ainsi, dans le cas où le test montrerait une faible espérance de vie, on n’aurait pas besoin de mettre beaucoup d’argent de côté pour plus tard. Et dans le cas contraire, il faudrait beaucoup épargner pour assurer le confort de sa vieillesse. Quelle belle invention pour rationaliser le système des retraites ! Et quelle belle prouesse économique !
Cette vision prévisionniste et statisticienne de la vie me semble d’une insupportable prétention. Qui sait en effet ce que l’avenir nous réserve ? D’abord nul n’est à l’abri d’un accident extérieur indépendant de sa volonté, et un vieillard peut vivre plus longtemps qu’un jeune : voyez « Le Vieillard et les trois jeunes hommes », de La Fontaine. Mais aussi qui oserait prévoir en général son propre destin ? On ne peut avoir maîtrise sur tout, et la vie ne se gère pas comme un compte en banque. De tout temps la sagesse des nations l’a vu : l’homme propose, disait-on autrefois, et Dieu dispose.
Bien sûr, c’est un fait que la mort nous attend tous. Mais qui connaît le moment où elle va arriver ? Mors certa, hora incerta, disaient les Latins : La mort est certaine, mais l’heure en est incertaine. L’Évangile dit de même : « Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure. » (Matthieu, 25/13)
Ne savoir ni le jour ni l’heure n’est pas seulement le propre des malades atteints d’Alzheimer. Cela nous concerne tous, et nous pouvons tous nous dire, à un moment ou à un autre : « Il est plus tard que tu ne penses. »
Mais c’est un trait de l’époque moderne que la dénégation du destin : on veut à tout prix défataliser la vie, avoir une totale maîtrise sur son déroulement. Un tel triomphalisme relève de cette Hybris, ou orgueil démesuré, que venait pour les Grecs châtier la Némésis, ou justice immanente. Car si l’homme joue, le cours des choses le déjoue, et il n’est jamais prévisible.
Article paru dans Golias Hebdo, 1e mai 2014
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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