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7 décembre 2024 6 07 /12 /décembre /2024 01:00

C

elles que font les hommes sont bien aléatoires, comme ils le constatent à l’expé­rience. Pourtant tous n’ont pas la sagesse de se rendre à cette évidence, et persistent à leur faire un immodéré crédit.

 

Ainsi ai-je appris, selon une information  rapportée par The Guardian, qu’au Royaume-Uni le ministre des Retraites Steve Webb a proposé que des experts déterminent l’espérance de vie des futurs retraités pour que ceux-ci puissent adapter la gestion de leurs finances à leur date de décès estimée.

 

Des experts pourraient analyser des facteurs comme la consommation de tabac, les habitudes alimentaires, le code postal ou la catégorie socio-économique pour déterminer une espérance de vie probable. (Source : Slate.fr, 17/04/14)

 

Ainsi, dans le cas où le test montrerait une faible espérance de vie, on n’aurait pas besoin de mettre beaucoup d’argent de côté pour plus tard. Et dans le cas contraire, il faudrait beaucoup épar­gner pour assurer le confort de sa vieillesse. Quelle belle invention pour rationaliser le système des retraites ! Et quelle belle prouesse économique !

 

Cette vision prévisionniste et statisticienne de la vie me semble d’une insupportable prétention. Qui sait en effet ce que l’avenir nous réserve ? D’abord nul n’est à l’abri d’un accident extérieur indépendant de sa volonté, et un vieillard peut vivre plus longtemps qu’un jeune : voyez « Le Vieillard et les trois jeunes hommes », de La Fontaine. Mais aussi qui oserait prévoir en général son propre destin ? On ne peut avoir maîtrise sur tout, et la vie ne se gère pas comme un compte en banque. De tout temps la sagesse des nations l’a vu : l’homme propose, disait-on autrefois, et Dieu dispose.

 

Bien sûr, c’est un fait que la mort nous attend tous. Mais qui connaît le moment où elle va arriver ? Mors certa, hora incerta, disaient les Latins : La mort est certaine, mais l’heure en est incertaine. L’Évangile dit de même : « Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure. » (Matthieu, 25/13)

 

Ne savoir ni le jour ni l’heure n’est pas seulement le propre des malades atteints d’Alzheimer. Cela nous concerne tous, et nous pouvons tous nous dire, à un moment ou à un autre : « Il est plus tard que tu ne penses. »

 

Mais c’est un trait de l’époque moderne que la dénégation du destin : on veut à tout prix défataliser la vie, avoir une totale maîtrise sur son déroulement. Un tel triomphalisme relève de cette Hybris, ou orgueil démesuré, que venait pour les Grecs châtier la Némésis, ou justice immanente. Car si l’homme joue, le cours des choses le déjoue, et il n’est jamais prévisible.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 1e mai 2014

 

D.R.

 

***

 

Cet article est extrait du livre suivant :

Petite philosophie de l'Insolite
Théron, Michel
17,00Livre papier
Lire un extrait

DESCRIPTION

Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).

 

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3 décembre 2024 2 03 /12 /décembre /2024 01:02

E

lle n’est pas réservée aux jeux des enfants. Des adultes même s’en emparent, pour peupler leur vie désertée par la passion.

 

Ainsi a fait un Japonais de Tokyo, kinésithérapeute de 45 ans. Lorsque la flamme s’est définitivement éteinte entre lui et son épouse, après l’accouchement de celle-ci, Masayuki Ozaki a acheté, pour combler le vide, une poupée en silicone, devenue depuis l’amour de sa vie. De grandeur nature et d’un réalisme confondant, elle partage son lit dans la maison familiale, où habitent aussi sa femme et sa fille adolescente (Source : LeParisien.fr, 30/06/2017).

 

L’article précise que  nombre d’hommes qui possèdent au Japon de telles poupées, appelées rabu doru (love dolls), ne voient pas en elles de simples objets sexuels mais véritablement des êtres à l’image des humains, qu’ils entourent de soins quotidiens. En somme ils leur donnent vie, comme celle que Pygmalion insuffla à la statue Galatée née de ses mains.

 

Symboliquement le sens ici est d’ailleurs très beau : nous pouvons donner vie à quelqu’un en le caressant, en lui manifestant notre tendresse. « Elle a la forme de mes mains », dit Éluard dans « L’Amoureuse ». Et à l’inverse on peut tuer quelqu’un en ne s’intéressant pas à lui : de possiblement lumineux, son visage devient terne et gris. On voit bien dans la rue à voir les traits de sa figure, ou au sens général de son allure, si quelqu’un est aimé, ou pas.

 

On objectera que la poupée n’est qu’un objet. Alors il faut bien reconnaître que cette réification de son objet est tout à fait dans la logique même de l’amour-passion. Vivant, l’autre nous résiste. On ne le possède vraiment que lorsqu’il est sans vie, par exemple quand il dort, comme Proust le dit d’Albertine : ce n’est qu’ensevelie dans le sommeil qu’elle était tout à fait à lui, et réalisait enfin, comme il le dit, « la possibilité de l’amour ». Je pense aussi aux Belles Endormies, de Kawabata. Si l’on songe que le sommeil est l’image de la mort, il s’agit bien de nécrophilie !

 

La perplexité peut nous saisir à considérer l’ambivalence de sens que revêt la poupée. Mais nous y gagnons de percevoir notre complexité, tant le cœur humain est dédaléen et labyrinthique !

 

Article paru dans Golias Hebdo, 13 juillet 2017

 

D.R.

 

***

 

Cet article est extrait du livre suivant :

Petite philosophie de l'Insolite
Théron, Michel
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1 décembre 2024 7 01 /12 /décembre /2024 02:01

C

e mot bon-enfant n’a rien que de rassurant. Il s’associe heureusement au besoin que nous avons de nous nourrir, qu’il satisfait pour notre plus grand plaisir.

 

On vient cependant de l’associer à un contexte apparemment tout opposé, celui de la mort. En effet,  une exposition à l’église Westerkerk d’Ams­­terdam a attiré plus de 3.500 visiteurs en leur offrant une panoplie insolite de gadgets funéraires.

 

Parmi eux, la présentation de tombes qui font office de potagers. L’organisateur indique qu’elles peuvent permettre « de rendre hommage à un vieux parent amateur de jardinage, ou plus pratiquement de rentabiliser la superficie occupée. Les plantes sont cultivées dans des récipients autonomes au-dessus de la tombe, ce qui évite tout risque de contamination. » (Source : AFP, 25/05/2017)

 

Cette idée de sépultures légumières choquera certains, qui la verront comme attentatoire à la digité des honneurs funèbres. Mais ils oublient que les funérailles sont faites pour les vivants, et non pour les défunts, et que, selon la phrase évangélique, il faut « laisser les morts enterrer les morts ».

 

Au reste, l’homme vient de la terre, et y retourne. Adam, le premier homme, est « tiré du sol ». Chouraqui traduit même : « le Glébeux ». En latin aussi homo est apparenté à humus, auquel, une fois inhumé, il revient : grande leçon d’humilité. Ramassons donc simplement une motte de terre, et nous aurons à la fois humus, homme, et humilité.

 

Pourquoi récuser alors l’idée d’un grand potager cosmique ? La mort est ce qui prend et donne, lambanôn kai didous, comme le dit Schopenhauer dans sa Métaphysique de la mort. Mourir n’est rien d’autre que ranimer la nature sous une autre forme. « Le don de vivre a passé dans les fleurs », dit de même Valéry dans « Le Cimetière marin ». Tout n’est qu’un Grand Cycle : la fleur vient du fumier, et le fumier vient de la fleur.

 

Maupassant avait dans ses dernières volontés demandé à être enterré sans cercueil, à même la terre au cimetière Montparnasse, pour que sur son corps décomposé pussent naître au plus vite de nouveaux « petits Maupassants » : mais à l’épo­que la procédure réglementée de l’inhumation s’y opposa. Aujourd’hui, grâce aux tombes potagères, les choses pourront peut-être changer !

 

[v. Synchronicité]

 

Article paru dans Golias Hebdo, 8 juin 2017

 

D.R.

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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