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out le monde a besoin de caresses, et au premier chef les enfants. Elles calment. Qui n’a éprouvé, même adulte, comme dit Depardieu à Michel Blanc dans Tenue de soirée de Bertrand Blier, l’envie de « se blottir » ?
Eh bien, rendons grâce à la technique moderne, qui a inventé un gilet à câlins, télécommandable. On en trouvera une description, avec une inénarrable vidéo, en tapant mytjacket.com, sur Internet. Le gilet, une fois gonflé, est traversé d’un mécanisme vibrant et massant connecté à une application activée sur Smartphone. Lorsque l’enfant est angoissé, le parent le rassure à distance en pianotant sur son appareil, et le voilà, à l’image du gilet qu’il porte, tout regonflé.
On connaissait déjà la télévision-nourrice. Quand les enfants la regardent, les parents peuvent vaquer tranquillement à leurs occupations. Il y a aussi la localisation constante de l’enfant par GPS, lien virtuel permanent unissant le parent à sa progéniture. [v. Omniscience]
On inventera sans doute encore d’autres dispositifs rassurants, permettant de sous-traiter les tâches éducatives, et de dispenser les parents d’un contact réel et effectif : pourquoi l’enfant ne pourrait-il voir aussi, par un dispositif approprié (lunettes type webcam), sa maman qui le câline de loin ?
Il y a même en Chine des lampes « communicantes » destinées à surveiller le travail des enfants faisant leurs devoirs, munies d’un dispositif qui les réveille s’ils viennent à s’endormir.
Qu’il est donc beau ce nouveau monde, ce meilleur des mondes ! Enfin l’utopie se réalise d’un univers facile, où les inconvénients d’une présence active sont remplacés par les avantages d’une ubiquité sans risque aucun procurés par l’informatique.
... Mais j’ai bien peur que cette utopie soit dystopie, et vrai cauchemar. Au gilet à câlins je fais deux objections.
D’abord les peurs et les angoisses n’ont pas toujours à être niées, car elles peuvent faire mûrir une personnalité, et pour plus tard la structurer.
Ensuite, rien ne remplace le contact et la chaleur d’une vraie peau, les vibrations qu’elle suscite. Dans notre culture des écrans, qui font écran entre la vraie vie et nous, nous avons perdu le sens du toucher humain. L’optique a remplacé l’haptique.
La tendresse à distance, externalisée, est bien sûr une imposture, qui nous exonère à peu de frais de notre tâche affective. Pygmalion a animé Galatée sous ses caresses, et Cupidon Psyché, et ce n’était pas à distance, avec un gilet à câlins ! Cela n’avait rien à voir avec cette prétendue réalité augmentée d’aujourd’hui, qui est en vérité une totale déréalisation.
On voit bien aujourd’hui que les discussions par webcam ainsi que le travail à distance, nécessaires à cause de la crise sanitaire, ne sont pas des vrais contacts. [Ajout 2020-2021]
Article paru dans Golias Hebdo, 14 novembre 2013
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