Il faut bien la distinguer du discours. L’image se montre et captive immédiatement, le discours permet de réfléchir. Mais la première l’emporte souvent sur le second.
C’est à quoi j’ai pensé en regardant le documentaire Jean-Paul II, le triomphe de la réaction, diffusé sur Arte en soirée, le 26 janvier dernier. On y apprend que le futur pape rêvait dans sa jeunesse de devenir acteur de théâtre. J’ai pensé au film de Moretti Habemus papam, où on voit un pape qui rêvait lui aussi de monter sur la scène, et que cette vocation contrariée a conduit à abandonner sa charge [lien]. Mais Jean-Paul II ne l’a pas fait, et a assumé le théâtre au sein même de sa fonction, en mettant soigneusement en scène toutes ses apparitions publiques.
Par son charisme, il est devenu une « Superstar » planétaire, au point que le magazine Time a pu l’élire « Homme de l’année ». On le voyait bien dans le film faire du ski sous la caméra, et défilaient aussi à l’écran les « produits dérivés » marqués de son image. La foule l’applaudissait comme les fans d’une vedette du show biz.
Mais tous ses fans l’ont-ils écouté vraiment ? À part sa première intervention en Pologne, où quelques mots ambigus ont contribué à fissurer le bloc soviétique, ses paroles ont été d’un accablant conservatisme. Il a condamné la théologie de la libération en Amérique latine, l’assimilant au communisme athée. Sa rigidité l’a amené à identifier les victimes de la Shoah aux enfants tués par l’avortement, en suscitant l’indignation tant des juifs que des chrétiens libéraux. En Afrique ravagée par le SIDA il a condamné le préservatif, en prônant la chasteté, et R-G. Schwarzenberg l’a accusé à cette occasion de « non-assistance à personne en danger ». Bref cette figure si lumineuse a de singulières zones d’ombre.
Je pense qu’il s’est vu investi d’une mission divine après avoir miraculeusement réchappé à un attentat. Et sa lente agonie offerte au public pendant ces dernières années a été mise en scène comme un chemin de croix. Son parkinson lui a conféré l’aura d’un personnage christique. Cette image, il l’a revendiquée, et il n’a pas songé à démissionner, évidemment pour héroïser sa figure, mais sans doute aussi, sûr qu’il était de sa mission, pour s’accrocher au pouvoir.
L’extrême rapidité de sa canonisation a manifesté la victoire éternelle de l’image sur le discours. D’un saint on attend moins d’entendre les paroles que de vénérer l’icône.
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Cet article est paru dans le journal Golias Hebdo. Pour lire d'autres articles comparables à celui-là, vous pouvez voir les volumes de ma collection Petite philosophie de l'actualité :
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