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29 janvier 2021 5 29 /01 /janvier /2021 02:01

Il faut bien la distinguer du discours. L’image se montre et captive immédiatement, le discours permet de réfléchir. Mais la première l’emporte souvent sur le second.

 

C’est à quoi j’ai pensé en regardant le documentaire Jean-Paul II, le triomphe de la réaction, diffusé sur Arte en soirée, le 26 janvier dernier. On y apprend que le futur pape rêvait dans sa jeunesse de devenir acteur de théâtre. J’ai pensé au film de Moretti Habemus papam, où on voit un pape qui rêvait lui aussi de monter sur la scène, et que cette vocation contrariée a conduit à abandonner sa charge [lien]. Mais Jean-Paul II ne l’a pas fait, et a assumé le théâtre au sein même de sa fonction, en mettant soigneusement en scène toutes ses apparitions publiques.

 

Par son charisme, il est devenu une « Superstar » planétaire, au point que le magazine Time a pu l’élire « Homme de l’année ». On le voyait bien dans le film faire du ski sous la caméra, et défilaient aussi à l’écran les « produits dérivés » marqués de son image. La foule l’applaudissait comme les fans d’une vedette du show biz.

 

Mais tous ses fans l’ont-ils écouté vraiment ? À part sa première intervention en Pologne, où quelques mots ambigus ont contribué à fissurer le bloc soviétique, ses paroles ont été d’un accablant conservatisme. Il a condamné la théologie de la libération en Amérique latine, l’assimilant au communisme athée. Sa rigidité l’a amené à identifier les victimes de la Shoah aux enfants tués par l’avortement, en suscitant l’indignation tant des juifs que des chrétiens libéraux. En Afrique ravagée par le SIDA il a condamné le préservatif, en prônant la chasteté, et R-G. Schwarzenberg l’a accusé à cette occasion de « non-assistance à personne en danger ». Bref cette figure si lumineuse a de singulières zones d’ombre.

 

Je pense qu’il s’est vu investi d’une mission divine après avoir miraculeusement réchappé à un attentat. Et sa lente agonie offerte au public pendant ces dernières années a été mise en scène comme un chemin de croix. Son parkinson lui a conféré l’aura d’un personnage christique. Cette image, il l’a revendiquée, et il n’a pas songé à démissionner, évidemment pour héroïser sa figure, mais sans doute aussi, sûr qu’il était de sa mission, pour s’accrocher au pouvoir.

 

L’extrême rapidité de sa canonisation a manifesté la victoire éternelle de l’image sur le discours. D’un saint on attend moins d’entendre les paroles que de vénérer l’icône.

 

Statuette en bois de Jean-Paul II (en vente en ligne) (D.R.)

 

***

 

Cet article est paru dans le journal Golias Hebdo. Pour lire d'autres articles comparables à celui-là, vous pouvez voir les volumes de ma collection Petite philosophie de l'actualité :

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commentaires

T
Il y a là, cher Michel, deux points de vue irréconciliables. Au fond de moi, je crois que tu as raison, mais, pour accéder à celui qui est le tien, vraiment à hauteur d'homme, il faut suivre continûment un chemin que je n'ai pas eu la force d'emprunter. Je n'ai pas de honte à le reconnaître.<br /> Il n'y a pas de quoi renoncer à débattre. Amicalement.
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T
Une certaine posture énonciative a pu faire croire que je me rangeais sans réserve aux positions de Jean-Paul II sur l'avortement et sur l'économie (si ce terme n'est pas inapproprié). Le vrai est que je suis attaché à maintenir séparés l'aménagement sociétal et le régime socio-politique, d'une part, de l'autre la visée supérieure à laquelle le pape est par essence voué. Il n'est versé ni en science économique ni en ingénierie sociale. On attend de lui autre chose, et l'Eglise s'est un peu perdue à courir maladroitement après le monde. Ce qui ne justifie évidemment pas l'excès des termes de condamnation que Jean-Paul II utilisa. Et qui ne signifie pas que je regrette la légalisation de l'avortement (d'ailleurs menacée ici et là), ou la recherche de régimes économiques retenant ce qui peut l'être du marxisme. Il y a un difficile équilibre à trouver. Mais il semble que cet ordre de questions n'intéresse plus beaucoup; tout au moins est-il peu médiatisé..<br /> Merci de m'aider à y voir un peu plus clair, et à continuer à apprendre.
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W
Merci de ton message. Je pense que "la visée supérieure à laquelle le pape est par essence voué" est dans ton esprit la recherche d'une dimension de transcendance pour la vie de chacun. Personnellement je crois qu'elle peut être trouvée par chacun à l'intérieur de soi : il en est d'elle comme du Royaume chez Luc (17/21). Mais bien sûr alors on n'a pas besoin de médiation cléricale pour s'y ouvrir. C'est pour cette raison que beaucoup de spirituels ont été mal vus, voire persécutés par l'Institution. La gestion de la transcendance extérieure par les clercs a satisfait leur désir de pouvoir sur les âmes et les corps. - Amitiés. M.
T
"Tout changer pour que rien ne change". Ainsi pourrait-on définir le long pontificat de Jean-Paul, ce pape d'allure moderne; ce qui serait un peu excessif, son rôle dans l'extinction du communisme dans son pays n'étant pas négligeable. Oui, il s'est opposé en bloc à des évolutions généralement vues comme positives, dans le champ politico-social comme dans celui des moeurs. Mais je vois mal comment un pape pourrait avoir de la complaisance pour des courants religieux teintés de marxisme (essentiellement athée, faut-il le rappeler), pour des dispositions qui, du point de vue qu'il incarne, sont attentatoires à la vie.(avortement, et même contraception).Tout cela n'est pas très politiquement correct, mais le pape ne peut être confondu avec un responsable politique ou un législateur; il est dans un autre ordre, au risque de paraître souvent à contretemps. <br /> Je note - détail piquant - que Dom Helder Camara, héraut de la théologie de la libération, est en passe d'être béatifié, si je suis bien renseigné. L'Eglise vit dans le temps long...
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W
Tu as sûrement raison pour ce qui est de l'Eglise catholique, et pour les protestants évangéliques. Pour les orthodoxes, je ne sais pas trop. Finalement je ne vois que les protestants libéraux avec qui je puisse m'entendre. Sur le marxisme, il est athée dans son programme idéologique, mais religieux dans sa structure (messianisme, Grand Soir, Jugement Dernier et peuple élu : le prolétariat). Et la théologie de la libération en est très proche. Les Béatitudes, dans la traduction Chouraqui, ressemblent à l'Internationale : "En marche, les humiliés du Souffle..." - Merci beaucoup de tous tes commentaires, qui me font réfléchir.

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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