Dans les jardineries du Royaume-Uni, il y a actuellement une pénurie des nains de jardin. Elle est due à une forte demande des citoyens, qui n’ont pu sortir de chez eux à cause des confinements sanitaires successifs et se sont consacrés à leur jardin, ainsi qu’à des retards d’approvisionnement, dont celui causé par l’échouage d’un porte-containers sur le canal de Suez. (Source : lemonde.fr, 17/04/2021)
Cette nouvelle m’a fait initialement sourire, en pensant au culte qu’on rend au kitsch. On pense sans doute embellir le jardin en y disposant amoureusement ces ridicules statuettes, comme ceux qui ramènent de leur voyage une boule à neige, une copie miniature de la Tour Eiffel, ou encore ceux qui aiment les photos de chats en d’inénarrables postures, naguère sur les calendriers des Postes, et maintenant sur Internet.
Sans doute veulent-ils compenser la monotonie de leur vie par une idéalisation facile, comme ceux qui vont à Disneyland pour oublier leur condition dans un rêve éveillé. Mais l’art véritable n’a pas pour but d’idéaliser le réel, mais de réaliser l’idéal – ou au moins de s’y efforcer...
En réaction on comprend quel pourrait être ici un geste iconoclaste. Dans Family Life de Ken Loach la fille badigeonne de bleu les nains de ses parents, pour montrer le refus qu’elle fait d’un monde voué à l’aliénation, qui n’a que ce moyen dérisoire pour y échapper. Et il existe aussi un Front de Libération des Nains de Jardin (FLNJ), qui les soustrait aux jardins pour les rendre à leur espace naturel, la forêt, dénonçant ici une caractéristique essentielle du kitsch : la décontextualisation des choses.
Et pourtant, après réflexion, je me dis que la critique ici n’est pas si intelligente que cela. D’abord mieux vaut une illusion heureuse qu’une lucidité désespérante. Et ensuite, l’impression de kitsch ne tient que lorsqu’on est soi-même froid. Mais est-on ému, qu’elle disparaît. Si l’on reçoit un objet kitsch d’une personne que l’on aime, on aimera aussi cet objet, même s’il nous a été donné « au premier degré ». Ensuite on y pensera avec nostalgie.
Aussi le kitsch peut être affiché volontairement, mais avec distance, ironie. C’est ce que l’on appelle le camp. Voyez les clins d’œil de Sean Connery jouant James Bond : il n’est pas dupe de ce qu’il joue. – Finalement c’est pour rendre compte de cette complexité que j’ai écrit mon ouvrage Le Kitsch – Une énigme esthétique (éd. BoD, 2020).
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Voir aussi :
Kitsch - Le blog de michel.theron.over-blog.fr
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