J’ai pensé à la notion que cet ancien mouvement religieux désigne maintenant en apprenant que les Talibans afghans viennent d’installer à Kaboul un Ministère du Bien et du Mal (Source : francetvinfo.fr, 07/09/2021).
Cette opposition radicale du bien et du mal fait d’eux des absolus. Elle simplifie les êtres et les situations, en donnant de la vie une vision en blanc et noir, alors que la réalité est ordinairement grise. Cette vision est celle du drame ou du mélodrame, qui s’oppose à celle de la tragédie, où les personnages qui s’affrontent ou pour chacun une part de justification. Dans Antigone de Sophocle, par exemple, Antigone a raison, mais Créon n’a pas tort. La situation est ambivalente – et même, dans la version moderne d’Anouilh, les deux visions sont équivalentes. Autrement dit, la tragédie est ambiguë, et le drame, simpliste.
Ce partage des valeurs, appelé savamment partage axiologique, a été incarné dès l’origine de la civilisation grecque par celui des dieux en deux camps : ainsi dans l’Iliade les uns soutiennent les Grecs, et les autres les Troyens. Il y a là une grande sagesse, et c’est là le génie du polythéisme. Le respect dû aux dieux est moins imposant, puisqu’ils ne sont pas d’accord entre eux. Tandis que dans le monothéisme la perspective d’un dieu unique agissant de façon autoritaire et capricieuse est écrasante pour l’être humain.
Le manichéisme plaît parce qu’il empêche de penser à la complexité du réel. Il est facile de catégoriser les gens en bons ou mauvais. C’est ce que font naturellement les enfants, pour se rassurer. C’est ce que font aussi les Talibans, pour terroriser.
Si cette vision était vraie, où classerait-on le Paul du Nouveau Testament ? Persécuteur des chrétiens, il devint ensuite chrétien. Dans quelle « case » le mettra-t-on ?
En fait, la réalité humaine est dans une évolution permanente. Lao-Tseu dit très bien au début de son Tao-te-King que le Tao, la Voie, n’est pas une voie constante, et que les termes qui l’expriment ne sont pas des termes constants. Une scène du film de Clouzot Le Corbeau montre qu’il suffit de bousculer une lampe suspendue au plafond d’une pièce pour qu’aussitôt les zones d’ombre et de lumière changent de place au sol et sur les murs. De même, sur l’échiquier de la vie, on passe constamment d’une case noire à une case blanche, et inversement. Ne pourraient-ils pas s’en instruire, ces « Étudiants » que sont les Talibans ?
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Ce texte paraîtra d'abord dans le journal Golias Hebdo, puis sera publié en volume. D'autres textes comparables figurent dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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