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ne société allemande vient de mettre au point un GPS à l’usage des parents : c’est un petit boîtier qu’on glisse dans la poche de l’enfant, pour pouvoir le suivre à la trace. Quand il sort d’un périmètre défini, le parent reçoit un SMS d’alerte, et peut ainsi aviser.
Belle invention que ce GPS. Il s’agit d’enregistrer tous les déplacements du rejeton, de savoir toujours où il est, en définitive d’être toujours avec lui. L’ambition d’omniscience rejoint celle d’ubiquité. Ces deux notions étaient autrefois l’apanage de Dieu : il sait tout et voit tout, et il est partout.
C’était une pédagogie de la peur : le regard de Dieu était comme celui d’une grande caméra de surveillance… Voyez aussi le panoptique de Bentham, où le surveillant de la prison avait vue, sans être vu lui-même, sur la cellule de chaque prisonnier. Vision totalitaire, dénoncée par William Blake avec son Nobodaddy (ce « Papa personne » inconnu de nous et nous surveillant à notre insu), et par Orwell, sous le nom de Grand Frère qui nous regarde : Big Brother is watching you !
Je sais bien que pour certains cyniques ce regard divin a une utilité sociale : une fois son existence intériorisée, il retient le bras du malfaiteur potentiel. Les dieux, selon le mot d’un tyran d’Athènes, ont été inventés pour punir les crimes secrets. Voltaire disait aussi que Dieu a été créé pour éviter que les domestiques n’égorgent leurs maîtres. Ce regard viendrait-il à disparaître, que l’anarchie s’installerait : ce serait le règne du « pas vu, pas pris ! ».
Mais si « Dieu te voit même quand tu es aux cabinets ! », il n’y a plus d’intimité personnelle. Je me souviens d’un mot d’une petite fille là-dessus : « Si Dieu voit tout, c’est indécent ! »
Bien sûr avec le boîtier GPS on pourra retrouver les malades désorientés, atteints d’Alzheimer par exemple. Mais je pense aussi au cas d’un conjoint jaloux : il pourra mettre l’ustensile dans la poche ou dans la voiture du compagnon, à l’insu de l’intéressé, pour, comme Dieu, tout voir de lui et tout en savoir.
Quand nous disons : « Dieu sait que… », ou : « Dieu seul le sait ! », nous pensons à son omniscience. Pourtant des hérétiques du 4e siècle, les Agnoètes, disaient qu’il ne connaissait pas tout, mais acquérait progressivement de nouvelles connaissances. Belle ici était leur prudence...
Au reste, la connaissance peut détruire un bonheur qu’il est seulement possible de vivre, comme il se voit dans la Genèse avec la prétendue « faute » de nos premiers parents : s’ouvrant à elle, ils en sortirent moins coupables que malheureux. Ou encore dans l’histoire grecque de Psyché, qui perdit celui qu’elle aimait, tout simplement pour l’avoir vu et connu. De même, à trop s’approcher du soleil, image de la clarté suprême, Icare fut précipité dans les flots, où il se noya. Nous devrions bien méditer de tels exemples. Pourquoi s’obstiner à vouloir tout connaître ?
Article paru dans Golias Hebdo, 1e octobre 2009
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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