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l me semble qu’on en manque un peu aujourd’hui. J’ai entendu en effet au Journal de 19 heures de France Inter, le 14 février dernier, qu’une pâtisserie de Bordeaux a commercialisé, à l’occasion de la Saint-Valentin, fête des amoureux, des sexes masculins en chocolat.
Des femmes interviewées ont dit être intéressées. Seul un homme fut contre, préférant, au risque du kitsch, des pâtisseries en forme de petits cœurs. Inversion des rôles donc : le romantisme, qui se cache bien, n’est peut-être pas où l’on croit…
Il s’agissait donc de fêter l’amour. Mais lequel ? Dans L’Homme unidimensionnel, Marcuse oppose bien l’amour humain à la sexualité. Le premier s’entoure de rêve, d’imaginaire, de ce que Stendhal appelle la cristallisation, c’est-à-dire la valorisation en solitude et à distance de l’objet aimé. Bref, il se vêt de poésie, et ouvre l’homme à un idéal, une Transcendance. Mais la sexualité ramène l’amour à la pulsion élémentaire, immédiatement satisfaite, tout embellissement onirique ôté. Ce n’est pas la même chose de faire l’amour dans un pré tout orné de fleurs, et dans une voiture. J’ai bien peur qu’aujourd’hui le rêve amoureux, et la rhétorique afférente, soient fort en déclin.
Dans Le Meilleur des mondes, Huxley nous montre les hommes modernes conditionnés à ne se considérer que comme des « tas de viande », cédant à leurs instincts aussitôt qu’apparus, et reléguant aux vieilles lunes le romantisme traditionnel de l’amour. On y perd évidemment beaucoup, l’animalité triomphant sur les décombres des anciens rêves.
Par hypnopédie, ou conditionnement durant le sommeil, on persuade les gens que « chacun appartient à tout le monde », que tout sentiment exclusif et exalté dont être banni : c’était bon pour l’ancien monde... Désormais on est échangiste et décomplexé, enfin « heureux » !
De la sorte l’emprise du Pouvoir politique sur ses assujettis augmente tout naturellement, car l’amour vrai avait une force de résistance sociale et un pouvoir d’anarchie qu’il a perdus.
Gageons que saint Valentin se serait retourné dans sa tombe, s’il avait vu que sa fête ramenait l’amour à la simple pulsion sexuelle, comme on l’a constaté fréquemment dans les offres commerciales qui nous ont été faites à cette occasion.
La traditionnelle fête du sentiment devient en effet, progressivement mais invinciblement, celle de l’érotisme. On est maintenant bien loin des doux amoureux de Peynet. J’ai reçu entre tant d’autres une publicité sur Internet vantant un site intitulé « Adopte un mec », et invitant pour ce faire à « accéder au stock » !
... Continuez comme cela, mes chers contemporains, et vous perdrez jusqu’à la poussière de votre nom !
Article paru dans Golias Hebdo, 28 février 2013
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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