Le langage d’un homme en dit beaucoup, à la fois sur lui-même et sur la culture à laquelle il appartient. Voici par exemple ce que vient de dire le patron de l’organisation paramilitaire Wagner Evguéni Prigojine, déplorant la résistance ukrainienne à Bakhmout : « On ne fera pas la fête de sitôt. Bakhmout ne sera pas prise demain, parce qu’il y a une forte résistance, un pilonnage, le hachoir à viande est en action. » (Source : lefigaro.fr, 14/02/2023)
Déjà Voltaire, dans Candide, avait qualifié la guerre de « boucherie ». Mais ici cela va encore plus loin, avec l’expression « le hachoir à viande », voisinant avec « faire la fête ». Quelle image de l’être humain se fait donc ce personnage, que penser d’une certaine façon générale de voir qu’il incarne ? Dans le cas de la guerre, celle d’une parfaite chair à canon, comme l’on dit aussi parfois. Mais au-delà même du contexte guerrier ?
Quand les êtres humains en arrivent à se considérer comme des « tas de viande », disparaît en eux toute aspiration vers autre chose que ce à quoi cette condition animalisée les condamne – qu’on l’appelle âme, ou sentiment de transcendance, comme on veut. C’est ce qu’a dénoncé Huxley dans son roman dystopique Le Meilleur des mondes, et aussi Marcuse, dans son essai L’homme unidimensionnel. C’est donc bien cette unidimensionnalité bestiale qui pourrait être incarnée par Prigogine et son langage pour le coup entièrement « désublimé », pour reprendre un mot de Marcuse.
Ceux qui connaissent la Russie reprochent aux Occidentaux de ne pas savoir que le peuple russe peut supporter énormément de souffrances, comme s'il s’était habitué depuis toujours aux plus mauvais traitements. Comment s’étonner alors que ceux qui les lui ont infligés au fil des siècles sans rencontrer d’opposition puissent manquer à ce point d’empathie envers l’humain ? « Il faut écorcher un Moscovite, disait Montesquieu, pour lui donner du sentiment. »
Assurément la vie n’un homme ne pèse pas autant en Russie que chez nous. Là elle n’est qu’une vague dans l’océan, et ici la fin du monde. Les Ukrainiens qui voient déferler sur eux les vagues de soldats russes les comparent à des fourmis, dont le nombre ne diminue jamais. Plaignons cependant ces derniers, car ce bétail est sous la menace d’être mis à mort, et dans la plus barbare des conditions (à coup de masse chez Wagner), s’il lui prend l’envie de déserter.
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