C’est, au pluriel, une procession de supplication pour attirer la bénédiction divine sur les récoltes et sur les travaux des champs. Cet usage vient d’être réactualisé dans le département des Pyrénées-Orientales, affecté depuis plusieurs mois par une sécheresse inédite. Le 18 mars dernier le diocèse de Perpignan devait organiser une procession pour obtenir la pluie (source : la-croix.com, 16/03/2023).

À Dieu on veut donc demander (c’est le sens de « rogation ») un changement miraculeux. Mais que penser de cette demande ? D’abord elle contrevient au conseil donné à qui veut prier : « Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer. Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. » (Matthieu 6/7-8)

D’autre part, on sait que Jésus a refusé les miracles dans l’épisode de la Tentation au désert. Ce refus de la thaumaturgie (transformer les pierres en pains, obtenir le pouvoir sur les corps par la contrainte physique, et sur les âmes par la magie du vol), laisse aux hommes la liberté. Malheureusement les hommes peuvent lui préférer l’assujettissement. Dans ce cas, ils n’ont pour demander de l’aide que le recours à la supplication, comme dans l’exemple des rogations.

Le vrai miracle, le seul à hauteur d’homme et dégagé de toute superstition, devrait pouvoir être interprété symboliquement. Le mot signe (sèmeion) le désigne dans l’Évangile. On pourrait imaginer alors de quoi la sécheresse catalane pourrait être signe : pourquoi pas d’une sécheresse des cœurs eux-mêmes ? Il faudrait donc demander à Dieu de faire tomber en pluie l’eau lustrale de sa grâce sur des êtres intérieurement arides. Exactement comme dans l’homélie que prononce le curé à l’intention des villageois inconséquents et amnésiques, dans Manon des Sources de Marcel Pagnol.

On aurait pu à Perpignan suggérer cette signification symbolique de la pluie. Je doute pourtant qu’elle aurait été propre à satisfaire le fidèle. Peut-être ou sans doute préfère-t-il sa version littérale. Mais c’est bien dommage à mon avis. Pourquoi rester dans une religion du donnant-donnant, de la carotte et du bâton (religio / religare), plutôt que dans une version plus mûrie de la religion relecture de soi (religio / relegere) – comme je l’ai défendue dans ma Source intérieure (éd. BoD, 2018) ?