Des cheminots et travailleurs de la santé, de l’éducation et d’autres secteurs en grève contre la réforme des retraites ont envahi, avec fumigènes et sifflets, le jeudi 13 avril dernier, le siège parisien du géant du luxe LVMH, à la prestigieuse adresse du 22 avenue Montaigne, près des Champs-Elysées. (Source : ouest-france.fr, 13/04/2023)
Pour faire cette action-surprise, ils avaient pris le métro depuis la gare de Lyon, et je vois un important symbole dans le contraste qu’ils ont dû faire entre leur cortège de simples citoyens et la belle façade du site fameux qu’ils ont occupé. À mon avis, ils n’auraient pas pu faire un meilleur choix.
D’une part parce qu’ils ont signifié par là l’écart faramineux qu’il y a entre les acteurs du luxe, aussi bien fabricants que consommateurs, et le vulgum pecus, qui aujourd’hui peine souvent à trouver à manger. On ne pouvait mieux signifier que nous sommes bien dans une société duale, et que les classes sociales, qu’on a enterrées à tort, existent encore.
Ensuite, philosophiquement parlant, une telle manifestation permet de s’interroger sur ce qu’est le luxe lui-même : une gigantesque imposture. Je ne sais si un objet de luxe est vraiment de meilleure qualité et plus durable qu’un objet commun. Mais enfin son statut repose sur un mythe auquel les gens naïvement font crédit : à savoir que sa possession permet une valorisation personnelle dans le regard des autres. C’est une pure valeur de représentation, totalement gratuite et artificielle. Il suffit que l’on mette sur un objet quelconque une griffe ou un logo, quels qu’ils soient, pour que son prix atteigne des valeurs stratosphériques, en aucun rapport avec ce qu’il est réellement. Et inversement, le dépouille-t-on de sa marque, il retombe au néant.
Les vraies valeurs sont les valeurs d’usage, et non point les valeurs d’échange ou les valeurs de représentation. Un vêtement doit simplement permettre à son possesseur de s’y sentir bien et confortable, et non pas de lui procurer de l’argent s’il veut le vendre, ou bien de « frimer » dans son quartier.
Une montre à 30 euros donne aussi bien l’heure qu’une montre à 30 000 euros. Pourquoi valoriser la seconde et non la première ? La valeur d’usage est la même. Pour le reste, il faut bien se dire que la tête d’autrui est un bien triste lieu pour qu’on y fasse reposer son bonheur. En dépendre est esclavage, et non pas liberté.
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