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ne relique contenant un fragment d’étoffe en lin ‘taché du sang de Louis XVI’, conservée dans un cercueil miniature en acajou et ébène sculpté, a été adjugée mercredi 18.738 euros à l’Hôtel Drouot à Paris. » (Source : A.F.P., 03/04/2013)
Le royal acquéreur ici a incarné une pulsion bien humaine, que je peux appeler « scopique » (désir de voir), et « haptique » (désir de toucher), celle même qui habita l’apôtre Thomas. Pour garantir sa foi dans la résurrection de Jésus, il voulut voir ses plaies et y mettre le doigt, s’attirant la phrase bien connue : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! » (Jean 20/29) À quoi bon en effet voir et toucher, si la certitude est intérieure ? Comme dit saint Paul : « Nous marchons par la foi, non par la vue. » (2 Corinthiens 5/7)
Mais quel besoin avait notre nouveau dévot de conforter ce que tout le monde sait (la décapitation d’un roi) par l’acquisition au demeurant fort onéreuse d’une preuve visible et tangible ? Bien hasardeuse aussi, puisqu’au dire d’un expert, selon la même source, pour être sûr que le sang est bien celui du roi il faudrait en faire une analyse ADN, ce qui n’a pas été fait.
L’Église a condamné pour avoir fait trafic des choses sacrées Simon le Magicien : d’où le péché de simonie. Mais elle n’a pas pratiqué elle-même ce qu’elle a dit, et n’a pas obéi à la parole précitée de Jésus à l’adresse de Thomas. Elle a opéré sans vergogne un trafic généralisé de reliques, qui se sont multipliées de façon exorbitante et à l’arrivée totalement cocasse, comme Calvin l’a montré dans son Traité des reliques, chef-d’œuvre d’ironie mordante.
Évidemment c’est la Réforme qui a raison : la foi dans toute sa pureté n’a que faire de preuves tirées du monde visible, car elles ruinent toute espérance : « Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance : ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore ? » (Romains, 8/24)
… Mais cette rigueur est difficile à pratiquer humainement. Qui de nous n’a pas, dans son reliquaire personnel, gardé de l’être aimé, présent ou absent, mèche de cheveux, vieille lettre, photographie jaunie, etc. ? Qui n’a vu dans ces souvenirs l’encouragement à repartir sur son chemin de vie, et la permission d’un avenir ?
Au fond, libre à certains, s’ils y trouvent plaisir, de dépenser des fortunes pour une relique même bien aléatoire, et même de se laisser gruger par ceux qui en font trafic… Comme dit très profondément Valéry : « L’esprit n’est pas si pur que jamais idolâtre. »
Article paru dans Golias Hebdo, 25 avril 2013
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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