J'ai appris qu’en Ukraine les agriculteurs déminent eux-mêmes leurs champs pour pouvoir semer. Ils utilisent des tracteurs bricolés convertis en tracteurs démineurs télécommandés. Car les semailles n’attendent pas. Et selon les estimations les deux tiers du territoire ukrainien seraient minés. (Source : tf1info.fr, 14/04/2023)
Je suis très ému par cette réaction. En effet on peut y voir un acte très symbolique de courage et de résilience, effectué au mépris de toute réflexion logique qui aurait pu conduire ces paysans au désespoir et à l’abdication. C’est aussi un cas typique d’Espérance, cette deuxième vertu théologale chrétienne, que Péguy présente s’avançant entre ses deux sœurs, la Foi et la Charité, et dont il dit qu’elle est la plus incompréhensible des trois. Dieu lui-même, dit-il, n’en revient pas.
Les Ukrainiens auraient pu se dire que décidément ils avaient assez donné dans cette affreuse guerre, et que plus rien de bon ne pouvait désormais leur arriver. Quand on voit un cageot d’oranges dont la première rangée est pourrie, la conclusion logique est que la rangée d’en-dessous sera aussi pourrie. Bien sûr elle peut ne pas l’être. Mais il est impossible de conclure logiquement autre chose, à partir de l’examen de la première rangée, à propos de la rangée d’en-dessous.
Mais l’être humain n’est pas que logique, il peut choisir la résilience, même irrationnelle. Voyez aussi le cas d’Adam et Ève, nos premiers parents selon la Genèse. Après avoir perdu leurs deux fils, le premier, Abel, pour avoir été tué, et le second, Caïn, pour s’être exilé, ils auraient pu vouloir « arrêter les frais ». Mais non, ils ont eu ensuite un autre enfant, Seth, dont le nom signifie « compensation, mis à la place ». Beaucoup de parents je pense pourraient dans la même situation faire la même chose, auraient le même courage de « relever la tête », de défier l’absurde du destin.
En l’espèce les agriculteurs ukrainiens nous donnent une leçon. Peut-être parce qu’ils sont eux-mêmes plus près de la terre nourricière, comme Antée qui reprenait des forces à son contact. Après la catastrophe qu’ils ont subie, ils vérifient me semble-t-il le sens botanique du mot regain, dont Giono s’est servi dans son roman éponyme : herbe qui repousse après la première fauchaison. Mais aussi peut-être incarnent-ils la dernière phrase de La Terre de Zola : « Des morts, des semences, et le pain poussait de la terre. »
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Voir aussi, sur la résilience :
Le Courage d'être - Le blog artistique de Michel Théron
Sous l'infini des nuages s'accroche la vie dans son infini de solitude. Toute tempête peut la déraciner. Mais son délaissement résiste face au ciel. Une leçon nous est donnée : celle du coura...
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