C’est l’état actuel, et porté à son point extrême, de la géopolitique. À l’époque de l’Union soviétique, les choses étaient à peu près claires. On se situait d’un côté ou de l’autre, Russie ou États-Unis, et cela suffisait. La vision était manichéenne, correspondait à ce qu’on voit dans le drame ou le mélodrame : d’un côté les bons, de l’autre les méchants. Mais depuis l’effondrement de l’Union soviétique la situation est devenue totalement confuse. La vision devient celle de la tragédie, où si le bon a raison, le méchant n’a pas tort. C’est une scission axiologique, un absolu et insurmontable partage des valeurs.
Faut-il défendre les israéliens attaqués, ou les palestiniens asphyxiés ? Qui osera prendre ici parti ? Par exemple, la maire de Strasbourg avait affiché sur sa mairie les drapeaux israélien et arménien, qu’elle voulait montrer unis dans l’épreuve. Et puis elle les a retirés, apprenant qu’Israël s’était rangé du côté de l’Azerbaïdjan dans l’attaque de ce dernier contre l’Arménie.
C’est un fait significatif de l’époque actuelle : n’importe qui peut aujourd’hui se ranger aux côtés de n’importe qui. D’obscures questions entrent en jeu : realpolitik, intérêts économiques, ambition personnelle de dirigeants corrompus, etc., tout cela empêchant la possibilité d’une vision claire de l’ensemble de la situation.
Ainsi du désir de normalisation d’Israël avec ses voisins arabes, qui a totalement oublié le peuple palestinien. Mais ce caillou dans la chaussure n’a pas pu se faire oublier longtemps. Et ce « détail » a abouti à un embrasement, par un phénomène en cascade, analogue à l’« effet papillon » bien connu des météorologues. Tout se tient en effet, tout est lié, même de façon en apparence très éloignée.
Je pense à la phrase de Pascal : « Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties. » L’idéal serait donc d’adopter une vision d’ensemble, synoptique ou dialectique. « Le dialecticien est celui qui perçoit la totalité », disait Platon. Mais c’est une vue de l’esprit, qui aujourd’hui se perd dans les ténèbres. Et pourtant, un enfant israélien et un enfant palestinien ont le même sourire.
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