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n sait que c’est le sens du mot islam, qui, outre l’abandon à la volonté de Dieu, signifie aussi, et c’est moins connu, la paix (salam) qu’on y trouve. Cette question de la soumission de l’islam est au centre des discussions actuelles. Voyez le récent roman éponyme de Michel Houellebecq.
J’ai pensé à cela en apprenant que le philosophe Raphaël Enthoven a cru voir un abandon de cette idée de « soumission » dans la nouvelle traduction du Notre Père, utilisée dans la liturgie. En effet, à « Ne nous soumets pas à la tentation » succède maintenant « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».
Selon le philosophe, cette dernière traduction manifeste le « désir subliminal », de la part de l’Église, de bien se démarquer de l’islam, qui, lui, reste « soumis » à Dieu : « La suppression du verbe ‘soumettre’ est juste une façon pour l’Église de se prémunir contre toute suspicion de gémellité entre les deux cultes. » Le changement serait donc le signe d’une islamophobie secrète (Source : La Croix, 21/11/2017).
Je crois rêver. Comment un « philosophe » peut-il être inculte à ce point ? Comment peut-il citer une traduction particulière et seulement française (« soumettre ») d’un texte dont l’original en grec (eispherein) signifie seulement : « conduire dans », ce que traduit bien le latin de la Vulgate par inducere, qui a donné d’ailleurs notre mot « induire » ? Une traduction comme : « Ne nous induis pas en tentation » serait d’ailleurs tout à fait conforme au texte initial.
Quant au changement de traduction opéré récemment par l’Église, il ne fait que reprendre une correction de Marcion (« Ne nous laisse pas succomber... »), que j’avais apprise personnellement au catéchisme dans les années 1960. Le but de cette nouvelle version est théologique : il s’agit d’innocenter Dieu de toute responsabilité directe dans la tentation. On lit bien ailleurs dans le Nouveau Testament que « Dieu ne tente personne, et chacun est tenté par sa propre convoitise » (Jacques, 1/13-14).
Mais aussi un philologue plus pointu pourrait remarquer que Marcion a peut-être eu connaissance d’un original araméen qui serait un factitif (« Ne fais pas que nous soyons conduits... »), qui n’a pu être rendu correctement, le grec (puis le latin) ignorant le mode spécifique du factitif.
– De toute façon on est bien loin ici de l’ignorance crasse de notre philosophe médiatique !
[v. Traduction]
Article paru dans Golias Hebdo, 7 décembre 2017
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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