J’ai regardé avec intérêt, sur Arte, dans la soirée du 7 juin dernier, l’émission Les Mystères du linceul de Turin, consacrée au suaire qu’on suppose avoir recouvert le corps du Christ après sa crucifixion. Et j’ai été frappé par le désir qu’ont eu et ont toujours les fidèles de le voir, pour garantir leur foi.
Cette pulsion scopique a été de tout temps instrumentalisée par les autorités ecclésiastiques, qui ont monnayé l’ostension du fameux suaire. Aujourd’hui encore, la science a beau avoir révélé que ce linge date du Moyen-âge, comme l’atteste son examen au carbone 14, la persuasion de son authenticité ne quitte pas le cœur de certains. On pense aussi au Mandylion d’Edesse, supposé avoir recueilli l’impression véritable du visage du Sauveur. C’est pourquoi on parle en orthodoxie d’une icône non faite de main d’homme (acheiropoïète). C’est de toutes ces croyances, vues comme superstitions, que Calvin s’est moqué, dans son Traité des reliques.
Le Saint suaire veut attester matériellement l’incarnation de Dieu en la personne de Jésus, et donc autoriser la possibilité de sa résurrection. Mais d’abord ces deux dogmes ne sont pas admis par certains chrétiens. Ensuite je ne vois pas comment la foi a besoin d’une expérience sensorielle pour se garantir et fortifier. On connaît bien sûr le proverbe : Il faut le voir pour le croire. Mais souvenons-nous de l’admonestation de Jésus ressuscité à Thomas : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru. » (Jean 20/29) Et aussi de ce que dit l’Apôtre : « Nous cheminons par la foi, non par la vue. » (2 Corinthiens 5/7). Et de même : « La foi est l’assurance des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit pas » (Hébreux 11,1).
On peut même aller plus loin, et dire que la vision sans voile du seul réel détruirait la foi, plutôt qu’elle ne la nourrirait. Il y a dans L’Idiot de Dostoïevski un passage sur le Christ mort d’Holbein (un Christ couché sur une froide dalle tel un cadavre dans une morgue) où il est dit que ce tableau ferait perdre la foi à n’importe qui. Et il m’est à moi-même arrivé de voir dans une galerie marchande une petite fille épouvantée de voir de près, costumé et intrusif, le visage de ce Père Noël dont pourtant elle avait rêvé. En vérité, l’homme descend du songe. Nous sommes les fils des rêves que nous faisons, et c’est la vision de la réalité qui nous défait.
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