On s’est fait beaucoup l’écho de la mort en direct du streamer Raphaël Graven, diffusée sur la plateforme Kick, où les séances d’humiliation qu’il subissait étaient suivies par des dizaines de milliers d’internautes (lemonde.fr, 23/08/2025).
Bien sûr cette montée du voyeurisme et de la violence en direct sur nos écrans n’est pas nouvelle. On rappelle le film de Bertrand Tavernier La Mort en direct (1980) qui montrait l’agonie d’une femme filmée à son insu pour une émission de télévision. On pense aussi aux émissions de téléréalité, telles le Loft des années 1990, ou bien dans les années 2000 au jeu Le Maillon faible, où la réplique de l’animateur : « Vous êtes le maillon faible, au revoir ! » tombait comme un couperet sur le candidat malchanceux. Ou plus récemment aux émissions de Cyril Hanouna, où l’humiliation, pour n’être pas physique, est bien réelle. Dans la réalité, on connaît les Lancers de nains qui ont fait naguère le succès de beaucoup de bars et de discothèques.
Mais il est remarquable que l’équipe du streamer décédé, contactée par les journalistes de Mediapart, n’a absolument pas senti qu’elle faisait quelque chose de répréhensible. Bien plutôt elle a accusé les journalistes d’être à leur égard des haters imperméables à leur propre façon de voir. Cette dernière est viriliste. Il aurait fallu comprendre, ont-ils dit, que ce n’est pas parce qu’on frappe quelqu’un qu’on ne l’aime pas. Ce peut être une marque d’amitié virile.
L’antienne est de toujours. Si on est un homme, un vrai, d’une part on doit intégrer la violence dans sa façon d’agir, et d’autre part on doit la supporter stoïquement quand on la subit. Mieux, elle est l’occasion d’un baptême, le passage à un niveau supérieur d’existence. C’est le cas de tous les rituels d’insertion, comme les épreuves initiatiques chez les primitifs, ou le bizutage chez nous, ou encore le sport de haut niveau, dont la devise est souvent no pain no gain (pas de souffrance, pas de succès).
Qui maintenant s’attachera à déconstruire cette façon de voir fondamentalement patriarcale ? Les pères en effet, dit Sénèque, exigent que leurs enfants soient soumis aux épreuves, pour acquérir une vraie force, tandis que les mères veulent le leur épargner. En fait seules ces dernières connaissent le prix de la vie. À suivre les premiers, on risque, sous prétexte de la fortifier, de détruire en soi et autour de soi cette vie même.
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Michel Théron