Cet extrait de mon ouvrage Les deux visages de Dieu explicite l'article : Transfiguration.
Même l’épisode de la Transfiguration, dans les Synoptiques, inconnu de façon significative de Jean, s’achève sur la Parole, le Verbe prenant le pas sur la Vision. Thaumaturgie et éblouissement (la Vue) sont récusés au profit de la mémoire, de la méditation du Mot. « Écoutez-le », est-il dit à la fin, et non pas « Regardez-le ». Aussi il y a un impératif présent duratif (akouete), non un aoriste ponctuel (qui serait akousate). S’il vous fut donné de le voir une fois, maintenant et toujours, écoutez sa voix… Telle est la leçon profonde du Thabor : notre lot humain est l’acceptation de l’éphémère. La descente de la montagne éblouisssante, dans la plaine, plate mais fertile, et l’acceptation de notre double visage à nous aussi, tantôt glorieux et tantôt soucieux.
Aussi cet être que nous aimons, il n’est pas toujours aussi éblouissant que nous l’avons vu d’abord, mais de ce moment, au moins nous gardons la mémoire. Qu’il ait été un dieu pour nous alors, même s’il ne l’est plus ou s’il l’est moins, cela suffit : c’est ce souvenir seul qui nous donne un avenir. Et c’est là notre propre version, humaine et laïque, de la double nature :
Et si pour le jour d’hui vos beautés si parfaites
Ne sont comme autrefois, je n’en suis moins ravi,
Car je n’ai point égard à cela que vous êtes,
Mais au doux souvenir des beautés que je vis… (1)
Tels aussi ont voulu s’arrêter à contempler Jésus, qui ont failli à la mission qu’il nous donna, de marcher en méditant sa parole. Je pense aux Thaborites, par exemple. Ils ont voulu faire ce que Pierre a fait dans l’épisode : « Il fait bon être ici, arrêtons-nous, dressons des tentes, etc ». Les Thaborites étaient historiquement une secte de hussites retirés en Bohême. Mais le thaborisme est, en général, le désir de contempler sans trêve l’essentiel une fois entrevu, tout le reste étant omis, jusqu’à la sidération.
Cet arrêt est sans doute une stase hallucinée, une mort spirituelle. Être ébloui, c’est être oublieux. Préférons ce que disent les disciples d’Emmaüs, marcheurs méditatifs, en Luc : « Notre cœur ne battait-il pas fort au-dedans de nous, quand il nous expliquait les écritures ? » (24, 32). – Encore « expliquer » (ici dianoigô). C’est mieux qu’éblouir – et aussi plus difficile et plus exigeant.
Garder une parole et non sacraliser ce qu’on voit, un être et une vie, comme le préconisent aussi Judaïsme et Islam, permet d’éviter toute idolâtrie.
(1) Ronsard, Les Amours, Garnier, 1963, p.259
© Michel Théron - 2010
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→ Voir aussi : Des mots pour voir et Iconoclasme.
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