Dans l’émission de Mathieu Vidard La Tête au carré, diffusée sur France Inter le 21 avril dernier, on s’est interrogé sur un sondage surprenant du site spécialisé Medscape : 4 médecins français sur 10 se disent prêts à mentir à leurs patients, par exemple pour minimiser les risques d’un traitement ou d’une intervention de façon à favoriser leur adhésion. Or un professeur de médecine a condamné cette habitude, qu’il a imputée aux pays latins, et a défendu une franchise totale, comme c’est le cas, a-t-il dit, dans les pays anglo-saxons.
Cette opposition culturelle me semble pertinente. Le professeur aurait pu ajouter que ces pays anglo-saxons sont en grande majorité protestants, et que le protestantisme, dans sa radicalité puritaine, défend en toute chose la transparence et le refus du mensonge. Cependant je défendrais volontiers ici la position inverse. Je sais bien que le mensonge délibéré est moralement condamnable, quand il sert les seuls intérêts de celui qui le profère. Mais dans bien d’autres cas je pense que l’homme n’a pas forcément besoin d’une franchise totale, et que le mensonge peut être charitable, ou comme on dit « pieux ». Dire la vérité à un patient condamné par le diagnostic peut le faire s’effondrer, et cela même s’il l’a demandée. Car on peut demander à la connaître, par présomption de ses forces à la supporter, mais secrètement ne pas le désirer. On vante toujours le « droit de savoir ». Mais il y a aussi celui d’ignorer. On peut tuer quelqu’un en ne lui mentant pas.
Lao-Tseu dit très bien que la voie vraiment voie n’est pas une voie constante. La morale ne relève pas de cet « impératif catégorique » par quoi le protestant Kant la définit, ne faisant que laïciser les commandements religieux du Décalogue, comme Schopenhauer l’a bien vu dans Le Fondement de la morale. La morale des Anciens était seulement hypothétique, parénétique, ne donnant que des conseils, jamais des ordres. Car on a toujours affaire dans la vie à des circonstances, des situations toujours variables, devant lesquelles aucun présupposé, aucune conduite définie a priori ne tiennent. Péguy le disait très bien : « Kant a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »
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