Des milliers de personnes ont pleuré la mort de Fidel Castro. L’affliction et les larmes, visibles sur les images, semblaient vraies. Aussi je me demande comment il se fait qu’un peuple si longtemps soumis à un régime dictatorial puisse manifester tant de marques ostensibles de regret d’avoir perdu son oppresseur.
On sait que parfois le chien lèche la main de celui qui le frappe. On peut voir là une image de masochisme, transposable au corps social. On me dira que le bilan de Castro a des côtés positifs, par la prise en charge des besoins matériels de ses compatriotes. Mais le Chien de La Fontaine, dans sa fable Le Loup et le Chien, s’il est certes bien nourri, paie cher cet assistanat : il renonce à sa liberté. Il y a peut-être une sorte de bonheur dans l’esclavage, mais où en est l’honneur ? Nous savons bien, par exemple par l’épisode évangélique de la tentation de Jésus au désert, que l’homme ne vit pas seulement de pain.
À supposer, je le répète, que toutes ces larmes répandues sur la mort du Chef de la Révolution aient été sincères, et non pas de convention, ou pire, nées du désir de faire comme tout le monde par peur d’une nouvelle répression, alors il faudrait dire que les peuples ne sont pas cohérents. On sait que la mort de Staline, le « petit père des peuples », a été également beaucoup pleurée. Et pourtant la barbarie stalinienne ne le cède en rien en horreur à la barbarie nazie. Comment se fait-il que, les victimes en étant connues, leur bourreau ait été pleuré ? Je pense à ce que dit Baudelaire : « Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ».
La dernière hypothèse serait tout simplement la légèreté versatile de la foule, prompte à l’amnésie. La mort de quelqu’un, quel qu’il soit, vaut absolution, suffit à faire oublier ce qu’il a fait. Comme dit Brassens, « On pardonne toujours à ceux qui nous ont offensés / Les morts sont tous de braves types ». Mais ici il ne faudrait pas oublier ce que disait Santayana : « Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre. »
commenter cet article …