C’est le fait de conclure à partir d’un exemple concret à une définition générale dont cet exemple est l’incarnation et l’illustration.
On sait que pour Platon chaque chose renvoie à son essence, ou son idée, qui lui préexiste et la garantit. Mais cette façon de voir a suscité des contradictions. Pensons à ce que Protagoras dit à Socrate : « Je vois bien le cheval, mais je ne vois pas la ‘chevalité’. » Autrement dit, il n’y a que des cas particuliers, qu’on ne peut pas subsumer dans telle ou telle idée générale.
Aujourd’hui, il est de bon ton de reprendre l’objection du sophiste. Il arrive par exemple que l’homme essentialise le féminin. Il rêve souvent d’une femme idéale et maternelle, cet archétype de son inconscient que Jung a appelé l’anima. Mais aucune femme réelle n’y peut correspondre, c’est une construction totalement mythique. J-P. Léaud, chez Truffaut, dit que toutes les femmes sont « magiques ». Ce n’est pas vrai. Ou bien si certaines le sont, d’autres ne le sont pas. On comprend pourquoi les femmes mettent en cause cette essentialisation masculine, qui souvent, en plus, sert aux hommes d’alibi à une domination qui s’exerce sur elles.
Mais à l’inverse certaines sont misandres, et englobent tous les hommes dans une identique représentation et une égale détestation. À une essentialisation masculine (la Femme) elles en opposent une autre, symétrique (l’Homme). Mais tous les hommes ne sont pas violents, ou violeurs en puissance. Il me semble que ces insurgées devraient s’en tenir à critiquer la domination patriarcale, et ne pas s’en prendre à une masculinité mythifiée. Et aussi il ne faut pas faire payer à tous les hommes le mal que certains leur ont fait. Ce n’est pas juste : ils n’en sont pas responsables. [Voir : « Haïr pour ne plus subir ? » – Télérama n° 3700, 09/12/2020, pp.45-47]
La vérité est qu’on peut bien continuer à parler de pôle masculin et de pôle féminin, donc de définitions archétypales, en précisant bien que ces deux pôles se trouvent en chacun. Ainsi il y a des hommes féminins, et des femmes masculines. On comprend bien à cet égard ceux et celles qui se disent « non binaires ».
On pourrait faire le même raisonnement à propos du racisme. À une essentialisation blanche, meurtrière, qui assigne les Noirs à un rang inférieur, certains racialistes noirs en opposent une autre, exactement symétrique, et englobent tous les blancs dans une égale haine. Or tous les blancs ne sont pas racistes, et tous ne sont pas colonialistes et esclavagistes. Ce n’est pas parce que leurs ancêtres l’ont été qu’ils le sont eux-mêmes. C’est comme si on reprochait à un jeune Allemand d’aujourd’hui d’être nazi.
Finalement, il est vrai que l’essentialisation est dangereuse. Mais elle est très souvent indispensable. S’il n’y avait pas cette propension à généraliser, à abstraire devant les cas concrets, l’esprit serait confronté à un chaos : aucune pensée même ne serait possible, car le disparate ne dit rien.
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Cet article est paru dans le journal Golias Hebdo. Pour lire d'autres articles comparables à celui-là, vous pouvez voir mon recueil :

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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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