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u dans un magazine télé, à propos d’une série américaine très suivie, ce descriptif : « Samantha veut s’investir à 100% dans sa relation avec Jerry. »
Dans ce type de langage je vois une façon bien problématique de se comporter dans la vie…
Je gage que les Samantha vont se répandre aussi dans la population, et que pour beaucoup, il vaudra mieux s’appeler Samantha que Paulette. Cela fera peut-être plus rêver, mais ce snobisme de l’anglo-américain tourne assurément le dos à tout notre passé : pauvre Samantha Dupont ou Durand !
Cependant le ridicule onomastique n’est pas ici le plus important. Ce qui est plus grave est la formulation de la phrase. « S’investir » appartient au vocabulaire de la finance ou de l’économie. Quant au pourcentage, peut-on calculer un investissement affectif comme on le fait d’un investissement boursier ? Sera-ce 100%, 50, ou moins ? Que va rapporter la « relation » ?
Assurément il y a là tout un monde du calcul et de l’intérêt. Mais on oublie qu’en matière de vrai sentiment tout ce qui peut être évalué n’a aucune valeur. Le jeu de la marguerite est inconnu des vrais amants. Le « Je t’aime un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout » n’est que marivaudage, car tout le monde sent qu’aimer bien n’est pas aimer. Quand on aime vraiment, ce n’est pas calculable : quand la comparaison entre par la porte, l’amour s’en va par la fenêtre.
Sinon, on ne fait que s’amuser. J’ai bien peur que ce soit le cas aujourd’hui, où les « relations » ne durent qu’un temps. Ce sont de simples expériences, qui n’engagent pas la vie. Le temps fait passer l’amour, l’amour fait passer le temps. On s’enlace, puis on s’en lasse. Parfois même les relations obéissent à la règle des trois unités chère au théâtre classique, et codifiée par Boileau :
« Qu’en un jour, en un lieu, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. »
Samantha « veut » aimer à 100%, comme si cela dépendait d’elle ! Et que dira son Jerry, s’il apprenait qu’elle peut « s’investir » à moins ? Voyez aussi l’ambition qu’on a aujourd’hui de tout « gérer » : sa vie, son stress, ses épreuves. Fait-on un plan de vie comme on fait un plan de carrière ? Cette vision commerciale ambitionne une totale maîtrise sur les choses, au mépris du destinal inhérent à la vie. [v. Destin]
Écoutons donc toujours le langage : il façonne ensuite les êtres, singes imitateurs, et parfois dans la pire des voies.
23 juillet 2009
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Ce texte est paru en son temps dans le journal Golias Hebdo. Il figure maintenant, avec d'autres textes comparables, dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.
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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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