Dimanche dernier, j’ai reçu un courriel promotionnel d’un site marchand, intitulé : « Vous avez le blues du dimanche ? Faites du shopping ça ira mieux ! » D’abord j’ai sursauté, ne voyant pas de rapport entre les deux phrases. Mais y réfléchissant je pense qu’elle définit bien notre modernité.
Le « blues » du dimanche est compréhensible. La semaine se passant à travailler, on peut être désorienté par l’inaction qui lui succède. Et pourtant on aurait tort. Toute la vie ne peut pas se passer dans le travail, il faut se ménager des phases, non seulement de repos, mais aussi de réflexion, de méditation. Dieu lui-même, après avoir créé (ou organisé) le monde en six jours, s’est reposé le septième. Faisons donc comme lui ! Ce n’est pas pour rien que la sanctification du jour du Seigneur est un commandement biblique.
On rétorquera que l’on s’ennuie le dimanche. Eh bien, je défendrai jusqu’à cet ennui. Car il est l’occasion d’un retour salutaire sur soi. On ne peut pas toujours s’agiter, se détourner de soi ou littéralement se di-vertir, et ainsi se perdre. Il faut pouvoir s’appartenir, qui est littéralement aussi se tenir à part. Comme la solitude, l’ennui même est fécond, non seulement pour se réintégrer, mais aussi pour créer. Chaque atome de silence, disait Valéry, est la chance d’un fruit mûr.
Il faut chérir cette atmosphère si particulière du dimanche, où les rues sont plus silencieuses, où l’on sent davantage avec nostalgie que l’on appartient à un autre monde que celui de cette civilisation extravertie et frénétiquement agitée. Nous sommes d’ailleurs, ou comme disaient les Gnostiques, « allogènes ».
Mais beaucoup sont incapables de le comprendre. Certains politiques voudraient même l’ouverture des magasins le dimanche, pour stimuler l’économie, en oubliant que cette dernière devrait être faite pour l’homme, et non pas l’homme pour elle. Si cette mesure était adoptée, disparaîtrait la justification psychologique du dimanche.
... Mais heureusement nous avons Internet, et nous pouvons nous oublier, nous étourdir en faisant du shopping ! Achetons-donc des biens dont nous n’avons pas besoin, dont nous nous lasserons bientôt, et que nous remplacerons par d’autres, sans fin. Le blues disparaîtra. Quel besoin avons-nous qu’on nous dise que nous venons d’ailleurs ? Nous sommes heureux dans cette fièvre acheteuse, dans cette oniomanie, même si nous y perdons jusqu’à la poussière de notre nom.
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Ce texte paraîtra d'abord dans le journal Golias Hebdo, puis sera publié en volume. D'autres textes comparables figurent dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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