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a dernière édition du salon L’Aiguille en fête, qui a eu lieu du 11 au 14 février dernier à la Grande Halle de la Villette, a organisé un événement présenté comme une première en France : un défilé de mode de tricot pour chiens. Par ailleurs, on nous dit que le marché des accessoires pour chiens est en pleine expansion.
L’expression « une vie de chien » doit donc maintenant être prise, par rapport à son sens habituel, comme une antiphrase. Qu’ils sont heureux, ces chiens de chez nous, pour avoir droit à parader et concourir ainsi vêtus, avec ces ornements que toutes les tricoteuses ont mis leur point d’honneur à faire pour eux : rien de si beau qu’ils ne méritent ! – Je dis bien : les chiens de chez nous, car ailleurs, en Chine par exemple, on les mange. Bien leur prend d’être nés ici, et non pas là…
À côté de cela, il y a les soupes populaires, la misère des mal-logés, ou des non-logés du tout. Que ne tricote-t-on pour eux aussi, pour qu’ils aient moins froid ! Il est vrai que sales et repoussants bien souvent, ils ne sont pas aussi attirants que tel caniche à qui sa mémère paie des soins de beauté, dans un salon à lui dédié.
Il y a évidemment obscénité à laisser les uns crever de faim, et à chouchouter les animaux. Les premiers fouillent les poubelles pour se nourrir, et pour les autres on se met en quatre. Telle publicité vante sans vergogne « le plaisir des chats difficiles » !
C’est Jean Genet qui opposait la brutalité à la violence. À la brutalité agressive de telle vitrine, animalière ou autre, comment ne pas comprendre que puisse répondre la violence des laissés pour compte ? Mais une fois cassée la devanture provocante, la police sera bien là pour emporter le malheureux.
– Ils sont bien mignons, pourtant, tous ces chiens. Vous n’avez pas de cœur, cher Monsieur !
– Mais, Madame, ne confondez pas sentiment, et sentimentalisme, l’émotion et ses signes. Le vrai homme sensible est chaviré au fond de son cœur, mais sa révolte est si grande qu’il ne peut plus pleurer. Vous au contraire, comme beaucoup des vôtres, avez volontiers les yeux humides, mais au fond votre cœur est sec.[1]
> Article paru dans Golias Hebdo, 25 février 2010
[1] Sur cette question, on peut voir mon ouvrage Le Kitsch - Une énigme esthétique, BoD, 2020.
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Cet article est extrait du livre suivant :
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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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