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l est, selon le mot de Rabelais, le propre de l’homme. Certes on n’en fera jamais assez l’éloge.
Assurément la plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri. Il faut aussi, selon le mot de Figaro chez Beaumarchais, s’empresser de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer. À Rome même, le rire avait son dieu particulier, comme on le voit dans le Satyricon de Fellini.
Je ne pensais pourtant pas jusqu’à ce jour qu’il pouvait faire l’objet d’une exploitation commerciale. Or je viens de voir, dans une salle de réunion dévolue à ce développement personnel si en vogue aujourd’hui, une publicité pour un stage qui lui est consacré : « Devenez animateur agréé d’un club de rire. »
Il s’agit d’une « formation certifiante » de deux jours, facturée 250 euros, dirigée par le « professeur officiel du Docteur Kataria, fondateur du Yoga du rire ». L’obtention du certificat d’animateur agréé permet notamment d’animer et d’ouvrir un club de rire. On apprend à cette occasion qu’il y a un Institut français du « Yoga du rire et du rire santé », de l’existence duquel assurément on ne s’était jusque là jamais douté…
On sait ce que valent ces certifications ou diplômes prétendus : strictement rien. Il en est ici comme de tous ceux qui s’intitulent « psychothérapeutes ». Ce n’est pas une profession réglementée, à la différence de celle de psychologue, et n’importe qui peut se prévaloir de cette appellation. En fait, elle recouvre ceux qu’autrefois on appelait les sorciers, qu’on s’est occupé longtemps à persécuter, et qui se sont ainsi recyclés derrière un masque verbal pompeux.
Je ne nie pas que faire marcher ses zygomatiques soit bénéfique pour la santé. Mais a-t-on besoin d’un coach, au surplus grassement payé, pour ce faire ? La bonne humeur est une attitude à cultiver certes, mais on peut douter qu’elle soit commandable à volonté, et qu’on puisse la pratiquer mécaniquement.
À ce compte, on peut mettre sur pied une formation certifiante de l’art de faire des chatouilles : qui aime bien chatouille bien ! N’importe qui sait le faire, mais payer pour le faire ennoblit la chose, selon ce que Jacques Lacan disait de la cure psychanalytique, qui n’est efficace que si on y croit et surtout si on la rémunère, et en argent liquide de préférence.
Ne soyons donc pas dupe de ce ridicule Yoga du rire : ici comme souvent, il faut regarder les choses en farce.
Article paru dans Golias Hebdo, 7 juillet 2011
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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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