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evenez plus riche que riche ! » Telle est la devise d’Euro-Million. Et le jingle qui l’accompagne sur les ondes est l’Alléluia du Messie de Haendel.
Ce qui choque dans une telle publicité, c’est qu’elle développe chez tous jalousie et ressentiment. C’est une version toute nouvelle du Magnificat, à l’usage du peuple : « Il a renversé les puissants de leur trône, et il a élevé les humbles » (Luc 1/52) Mais évidemment les enjeux ici ne sont pas les mêmes, et on a les ambitions que l’on peut. Autrefois, c’était de sauver son âme. Maintenant, c’est de s’emplir les poches.
Ce qui choque aussi c’est le patronage que donne l’état à la société organisatrice. Qu’il s’agisse d’une loterie, passe encore ! Mais que l’État l’officialise, la chapeaute et en tire profit en prélevant ses taxes, voilà ce qui n’est pas normal.
Il devrait nous donner, il me semble, de meilleurs exemples de bonne conduite, d’honnêteté, de moralité. Il spécule sur la passivité des citoyens, au lieu de les encourager à agir pour améliorer leur situation. Et c’est là aussi un moyen qu’il utilise pour les empêcher d’y réfléchir.
La loterie est toujours une solution de facilité. Elle supprime l’initiative personnelle. Attendre tout de l’extérieur dispense se s’attendre à soi-même. Comme en théologie la grâce vue comme toute-puissante peut exonérer le fidèle de tout travail personnel, et le rasséréner en pensant que celui qu’il jalouse en est lui aussi dépendant. Et comme en démocratie la loterie, assurant une absolue égalité entre les citoyens, peut satisfaire le médiocre dans sa jalousie pour le méritant : la loterie comme recours suprême consacre le triomphe de l’invidia democratica (la haine ou l’envie démocratique).
Dans le cas de l’ Euro-Million, on peut remarquer aussi que s’enrichir peut empêcher même de vivre, par l’obsession où cela conduit. On connaît l’exemple du roi Midas, qui obtint de Bacchus la faculté de changer en or tout ce qu’il touchait. Mais à peine son vœu fut-il exaucé que tout, jusqu’à ses aliments, se transformait en or dès qu’il y portait la main. Funeste don, cadeau empoisonné ! Voyez aussi le Savetier de la fable, qui ne put dormir dès lors que son voisin le Financier lui fit cadeau d’une grosse somme, qu’il dut lui rendre pour retrouver la tranquillité. Comme disait plaisamment Alphonse Allais : « La pauvreté a ceci de bon qu’elle supprime la crainte des voleurs. »
On n’achète pas sa santé. On peut certes acheter le corps de quelqu’un, mais pas son cœur. Heureusement d’ailleurs ! Comme dit Arletty dans Les Enfants du Paradis : « Il faut bien leur laisser quelque chose, aux pauvres ! »
On meurt de faim au milieu des richesses, sans doute d’une autre façon que Midas : de faim spirituelle. Aussi, avant de se laisser prendre à Euro-Million, on devrait méditer la parole de l’Évangile : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » (Matthieu 19/24 ; Marc 10/25 ; Luc 18/25)
Article paru dans Golias Hebdo, 11 juin 2009
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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