La mort de Jean-Luc Godard, qui l’a illustrée dans toute son œuvre, est l’occasion de réfléchir aux problèmes qu’elle pose. En effet le cinéaste n’a cessé de dynamiter les codes traditionnels de la représentation filmique, en montrant son caractère totalement artificiel et gratuit. C’est évidemment très intelligent, irréfutable en un sens, mais aussi dangereux dans un autre.
Que toute narration par exemple soit gratuite, on en trouve déjà l’expression dans le début de Jacques le Fataliste de Diderot. Et la constatation en est incontestable. Mais on peut y perdre l’adhésion naïve à toute voix qui entreprend de raconter, la magie du « Il était une fois... » C’est comme si on coupait le courant nécessaire pour adhérer à tout récit, sans se préoccuper d’aller réparer les plombs. C’est le carrosse qui se retransforme en citrouille.
Bien sûr, l’auteur en nous associant ainsi à son activité de création fait de nous à son tour des auteurs, de la même façon que Duchamp disait que le tableau est dans l’œil de celui qui le regarde. Mais veut-on toujours de cette association ? Est-on prêt par exemple à coopérer avec celui qui raconte, à passer, comme on l’a dit à propos du Nouveau Roman, du récit d’une aventure à l’aventure d’un récit ?
En général toute culture est faite de constructions symboliques auxquelles on donne crédit ou confiance, fiducia en latin. Et elle ne tient que par là. Construite initialement par évidence du cœur, elle se déconstruit ensuite par l’intelligence doutante, mais c’est au risque de s’y détruire. Ainsi Godard né dans un pays protestant, donc de tendance iconoclaste, n’a pas eu pour l’image l’adhésion spontanée que lui donnait par exemple Fellini, venant d’un monde catholique : peut-être a-t-il compensé cela par son amour de la musique....
On pourra parler chez lui d’une ironie distanciée, qui parfois se réduit à des blagues de potache. Mais pour citer encore Duchamp, que vaut-il mieux : peindre la Joconde ou lui dessiner des moustaches ? Les fulgurances de pensée, qui font penser chez Godard à celles qu’avait Malraux, ne suffisent pas à construire un vrai monde englobant comme il en existait aux époques de grande foi. Peut-on planer indestructible au-dessus des ruines ?
En somme, la déconstruction n’est pas toujours le dernier mot, et il y a dans certains cas une sagesse de la confiance : une intelligence en éloigne, et une autre y ramène.
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