C’est dans la veille de la fête qu’on peut voir la vraie fête, dans le samedi soir le vrai dimanche, les vraies vacances le jour où on les prend. D’un certain point de vue, toute entrée effective dans le réel, tout accomplissement portent en eux le germe d’une malédiction, et « achever » signifie à la fois « parfaire », et tuer ». Que veut-on dire, quand on dit de quelqu’un qu’il est « fini » ? Accompli, ou mort (has been) ? Les psychologues ont relevé ce qu’ils appellent le « syndrome de l’accomplissement total ». Par exemple celui dont a été atteint Amstrong, le premier homme à avoir marché sur la lune : ayant accompli ce qu’il désirait le plus, il est entré dans une grave dépression.
À bien des égards, il semble qu’on n’est heureux qu’avant de l’être. Il y a une sorte de fatalité inhérente à toute réalisation, fruit de toute décision qui est aussi un meurtre ou une occision, et de tout accomplissement. Elle est le regret de ce qui l’a précédé : l’indétermination, riche de tous les possibles. Toute œuvre est un peu comme le masque mortuaire de son intention. Ce qui est fait, effraie.
Il est bien rare que dans la vie les fruits passent, selon le mot du poète, la promesse des fleurs. Ainsi on aime le printemps, parce qu’il est promesse. Mais pas l’été, qui est réalisation. On comprend pourquoi Flaubert, au début de Bouvard et Pécuchet, ait pu parler de
... la tristesse des jours d’été ...
Il est bizarre que l’expression « laisser à désirer » soit chez nous empreinte d’une coloration péjorative. Il faut, au contraire, laisser à désirer, car sitôt satisfait, le désir peut disparaître, ou au moins diminuer. C’est pourquoi on peut menacer quelqu’un de la réalisation de ce qu’il souhaite le plus profondément. Les dieux nous punissent en nous exauçant. Que se passerait-il par exemple si nous changions nos cartes de vœux : « Je vous souhaite de ne pas obtenir cette année tout ce que vous désirez » ? Nous pourrions essayer, nous verrions bien… Car s’il est dur de ne pas obtenir ce qu’on souhaite, il est dur aussi de l’obtenir...
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Ce texte est tiré de la dernière édition de mon ouvrage Savoir aimer - Entre rêve et réalité. En voici la présentation dans la quatrième de couverture :
Aimer au sens humain du mot n'est pas quelque chose de spontané. Cela s'apprend tout au long de la vie, et par une réflexion à quoi ce livre veut contribuer.
Il ne défend aucune vision normative de l'amour. Il traite d'abord de l'amour-passion, qui se nourrit de désir et de rêves. Puis de l'amour-compassion, qui affronte le réel. Ensuite, il met en lumière les dangers qui guettent l'un et l'autre : l'oubli d'autrui pour le premier, le sacrifice de soi pour le second. La dernière partie montre ce que pourrait être un bon usage de l'amour, exempt de ces deux dangers, et triomphant de la prose de l'existence au moyen de l'humour.
Pour feuilleter le début de l'ouvrage, cliquer ci-dessous sur : Lire un extrait. Pour le commander sur le site de l'éditeur, cliquer sur : Vers la librairie BoD.
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