À l’occasion du débat parlementaire sur la réforme des retraites et des manifestations à ce propos, on voit bien que le travail est pour beaucoup maintenant une obligation dont il faut se libérer au plus vite, de façon à, comme il est dit souvent, « profiter enfin de la vie ».
Cette façon de voir le travail est tout à fait conforme à la façon dont on l’a considéré d’abord. Étymologiquement le mot renvoie au latin tripalium, qui désigne un instrument de torture. Les Romains même vantaient l’otium, le loisir, seul digne des citoyens libres, le travail étant fait par les esclaves. Dans le monde biblique aussi le travail est, dès le début de la Genèse, une malédiction que Dieu adresse à Adam pour le punir de sa désobéissance. Il doit gagner son pain à la sueur de son front. Quant à Ève, elle doit accoucher dans la douleur, ce qui est aussi un sens du mot « travail ».
En somme, on devrait s’accorder sur le fait que le travail est au mieux un pis-aller, au pire une aliénation, et que rien de bon ne s’en peut retirer. Lafargue, gendre de Marx, a bien écrit un Droit à la paresse. Devons-nous alors nous conformer au film Alexandre le bienheureux ?
Je ne suis pas totalement d’accord avec cette vision. Au Moyen-âge en effet on a renversé la perspective, en faisant l’éloge du travail comme épanouissant, et en faisant de la paresse un péché capital. Et ce point de vue n’est pas sans substance. Combien de fois un artisan par exemple a pu considérer avec fierté l’ouvrage sorti de ses mains, et se dire : « C’est de la belle ouvrage ! »
Donc il me semble qu’il conviendrait, autant que de prévoir un départ convenable à la retraite, et comme l’a dit le secrétaire général de la CFDT, d’améliorer les conditions du travail lui-même, et d’ainsi le revaloriser. La tâche est certes immense, mais vaut d’être initiée. On éviterait la Grande Démission, qui pousse les jeunes depuis le COVID à ne plus vouloir travailler à n’importe quel prix.
Je ne pense pas que ne rien faire soit le but à rechercher dans la vie. La créativité me semble au contraire en être l’essentiel, comme il se voit dans la parabole évangélique des talents, si riche d’un point de vue anthropologique. Et aussi le sentiment d'être utile. On me dira qu’on peut être créatif et utile enfin à la retraite, bien que beaucoup espèrent n’y rien faire ou s’y divertir. Mais ne pourrait-on déjà essayer de rendre moins aliénant le travail lui-même ?
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