I |
l est poussé à son point extrême actuellement au Festival d’Avignon, où l’on voit une pièce, La Casa de la fuerza (littéralement : « La Salle de sports ») dans laquelle l’actrice principale, pour dénoncer les violences faites aux femmes dans son pays, le Mexique, va jusqu’à s’automutiler.
Littéralement elle offre son corps en sacrifice : sa chair est entaillée, scarifiée, son sang coule. Elle en gardera ensuite, effectivement, les stigmates, sous forme de cicatrices qui ne disparaîtront pas. Ce spectacle est donc on le voit passablement gore, certains disent trash. Il met mal à l’aise, car la distance constitutive du code théâtral n’y est pas respectée. La présence réelle remplace la représentation figurée.
On peut douter même que le but recherché, qui est de lutter contre les violences, soit obligatoirement atteint par leur ostension effective, ne serait-ce que parce que l’émotion et l’empathie peuvent être tellement grandes qu’elles empêchent de réfléchir, ainsi que Brecht l’avait bien vu. Sans compter qu’ici aussi goût du scandale et voyeurisme peuvent jouer leur rôle, et occulter l’intention du happening.
Il n’est pas étonnant qu’un tel spectacle nous vienne du Mexique, où l’art baroque dans les églises présente souvent des Passions et des Crucifixions sanguinolentes.
Ce dolorisme masochiste constitue une grande part du christianisme majoritaire. L’Épître aux Hébreux dit même : « Sans effusion de sang il n’y a pas de pardon. » (9/22) C’est sur ce passage que s’appuient les catholiques pour parler à propos de la Messe de la réitération d’un sacrifice.
On le dit « non sanglant ». Mais sur quel texte s’appuie-t-on ? Et le prêtre est bel et bien un sacrificateur : c’est d’ailleurs pourquoi l’Église ne veut pas ordonner prêtres des femmes, car le rôle de celles-ci n’est pas de sacrifier.
Dès le néolithique, il revenait à l’homme de transpercer la proie, la femme au mieux ne pouvait que l’assommer. Et encore aujourd’hui, dans les campagnes, traditionnellement c’est l’homme qui sacrifie l’animal : le rôle de la femme se borne à recueillir le sang. En Corse aussi, lorsqu’une femme veut pratiquer la vendetta, elle se déguise en homme.
C’est une bizarre idée que de s’imaginer créer quelque chose de positif en s’infligeant blessures et mutilations. La religion tombe souvent dans cette perversion : qu’il s’agisse des Flagellants médiévaux, de ces chrétiens fanatiques qui encore se font crucifier, des musulmans chiites qui se fouettent jusqu’au sang tous les ans en souvenir de la Passion d’Ali, etc.
Jamais le sang versé, qui n’est qu’un gaspillage, n’a rien racheté. La réflexion et la lutte, oui.
[v. Dolorisme, Dolorisme (suite)]
Article paru dans Golias Hebdo, 28 juillet 2010
commenter cet article …