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es médias ont mentionné les sauvages destructions opérées par les fondamentalistes islamistes en Irak, tant au Musée de Mossoul que dans les précieux sites archéologiques.
L’Unesco a même parlé à ce propos d’« actes de guerre ». Le cœur se serre évidemment à cette disparition d’un irremplaçable patrimoine.
Elle s’explique, je ne dis pas évidemment qu’elle s’excuse, par plusieurs raisons. D’abord il y a l’interdiction, en monde sémitique, de représenter Dieu sous forme visible. L’islam, comme le judaïsme, et au sein du christianisme, le protestantisme sont fondamentalement iconoclastes : combien de statues et de tableaux religieux ont par exemple subi la vindicte des Réformés !
Cette pulsion destructrice se manifeste ensuite, chez le fanatique, contre les idoles d’autres religions que la sienne. Voyez Polyeucte dans la pièce de Corneille, briseur des idoles païennes, qui semble préfigurer ces talibans qui ont détruit les bouddhas de Banyan.
Enfin, en général, quand on veut instaurer un nouvel état de choses, on veut faire disparaître tout ce qui existe antérieurement. Cette amnésie volontaire caractérise tout esprit révolutionnaire.
Ainsi, lors de la Révolution française, on a voulu briser tout ce qui rappelait la Royauté. Cela a été jusqu’aux plus petits exemples, comme supprimer la galette des Rois, enlever les Rois et les Reines des jeux de cartes, etc. Bref, comme dit L’Internationale : « Du passé faisons table rase ! » Comme si repartir à zéro garantissait le meilleur pour l’avenir.
C’est bien sûr le contraire qui est vrai. On ne vit qu’en s’appuyant sur le passé, en se souvenant de lui. C’est la mémoire qui fait la personne, et la détruire condamne à errer, détaché de tout lien, désorbité. Voyez cette tragédie de l’amnésie dans Le Voyageur sans bagage, d’Anouilh.
Quant à détruire volontairement aussi ce qui nous rappelle de mauvais souvenirs, et comme font certains brûler rageusement par dépit les lettres de l’aimé(e) après une rupture par exemple, ce n’est pas une bonne solution : on peut plus tard, quand la colère sera calmée, s’en repentir. On peut en effet trouver un trésor dans le souvenir même. « Dieu lui-même, disait le sage antique Agathon, ne peut faire que ce qui a été n’ait pas été. » Ce qui a été, au moins, a été, ne peut nous être enlevé, nous reste comme un viatique, souvenir suffisant pour nous donner un avenir : à l’inverse du proverbe, on peut être pour avoir été.
Ce dernier exemple paraît bien léger à côté de la barbarie susdite, mais le sens en est le même. Au reste, dans l’histoire, et comme le disait Santayana, « ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre. »
Article paru dans Golias Hebdo, 19 mars 2015
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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