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l existe de temps immémorial dans toutes les sociétés structurées par des croyances religieuses.
Sa fonction est souvent mémorielle, et peut-être est-il nécessaire à l’homme d’avoir une occasion de rappeler à son esprit, à l’occasion de cérémonies rituelles bien déterminées, des événements passés pour éviter qu’ils ne sombrent dans l’oubli. Ainsi en monde chrétien le souvenir de la dernière Cène, instituant l’eucharistie, a cette fonction d’anamnèse (ce mot est celui prononcé par Jésus) : Luc 22/19 ; 1 Cor 11/24-25.
Mot prononcé par Jésus, vraiment ? Ou bien ces paroles ne lui ont-elles pas été prêtées, pour précisément instituer ce sacrement essentiel ? Sont-elles compatibles avec une phrase fondamentalement anti-cultuelle comme : « Laisse les morts enterrer leurs morts et toi, va annoncer le royaume de Dieu. » (Luc 9/60 ; cf. Mt 8/22)
L’enseignement de Jésus vise à désaliéner l’homme de tout ce qui le retient en arrière, dont le culte, et l’empêche de regarder en avant, de s’ouvrir au nouveau. Mais le clergé, gardien du culte, ne se laisse pas vaincre. Comme disait Loisy : « Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Église qui est venue. » L’acharnement du clergé à maintenir le culte s’explique aisément : l’enjeu est celui de son pouvoir sur les fidèles, qu’il importe de subjuguer par tout un théâtre cérémoniel, incluant souvent des opérations thaumaturgiques.
C’est frappant pour le catholicisme par exemple : à la messe, la liturgie « ouvrante » de la Parole est moins importante que celle, régressive à côté, de l’eucharistie. « Régressive », parce qu’on invite le croyant à baisser la tête devant le résultat d’une opération magique opérée par le célébrant : la transsubstantiation du pain et du vin. En monde protestant au contraire la prédication ou méditation sur un enseignement tient, heureusement à mon avis, une place plus importante.
Lors du confinement imposé par la crise sanitaire, le sacramentel s’est donné en spectacle virtuel, via le numérique. On a filmé des messes, qu’on a même postées sur Facebook. Ce théâtre clérical a assigné aux fidèles un rôle passif, non-participatif. Au lieu de leur montrer une voie de vie conforme à l’enseignement du Maître, il les a maintenus dans une perpétuelle enfance en les étourdissant de belles cérémonies.
Voyez alors ce que Spinoza dit dans son Traité théologico-politique (1665) : « Tel fut donc le but des cérémonies du culte : faire que les hommes n’agissent jamais suivant leur propre décret, mais toujours sur le commandement d’autrui, et reconnussent dans toutes leurs actions et dans toutes leurs méditations qu’ils ne s’appartenaient en rien mais étaient entièrement soumis à une règle posée par autrui. Il résulte de tout cela plus clair que le jour que les cérémonies du culte ne contribuent en rien à la félicité. »
Article paru dans Golias Hebdo, 23 juillet 2020
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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