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omme beaucoup, j’ai assisté en cette fin d’année à un concert de Noël. J’ai été frappé par l’énorme décalage entre la beauté des musiques et les paroles de certains chants, qui me semblent aujourd’hui inadmissibles. Il faut donc bien distinguer, comme on dit, l’air de la chanson.
Ainsi j’ai entendu le Minuit chrétiens !, cette « Marseillaise du croyant ». L’air est entraînant au possible, mais les paroles ? Il est question de la descente sur terre du Messie, « pour de son Père apaiser le courroux ».
Cette théologie, qui a effectivement marqué les siècles, relève du plus archaïque des réflexes, celui d’un Dieu en colère qu’il faut apaiser par un sacrifice rédempteur.
En outre, l’idée a alimenté un fondamental antijudaïsme chrétien, ce dieu colérique étant celui de ce qu’on appelait naguère l’Ancien Testament, le dieu des juifs, comme on me l’a enseigné au catéchisme.
On me dit que ce chant a maintenant été supprimé de la liturgie. Mais il perdure dans les concerts, où il fonctionne parfaitement. Sans doute se nourrit-il de la nostalgie d’un autrefois, où l’on ne faisait pas beaucoup crédit à la réflexion, et où l’on n’était pas très regardant à l’égard des paroles.
J’ai entendu aussi le Panis angeligus, où sur fond de l’admirable musique de César Franck le croyant est invité à voir dans l’eucharistie la « fin donnée aux symboles » (figuris terminum), et à « manger son Seigneur ».
Cette affirmation dogmatique de la transsubstantiation, qui date du concile de Trente, clôt tout le « figurisme » que l’Église avait pourtant jusque là pratiqué sans vergogne vis-à-vis de son héritage juif, en y voyant systématiquement une préfiguration de ses propres constructions.
En outre, en affirmant la réalité littérale de l’ingestion du corps du Seigneur, ce chant justifie le surnom de théophages, mangeurs de Dieu, dont les protestants avaient affublé les catholiques.
J’ai bien vu que personne dans l’assistance ne s’arrêtait à ces considérations (au reste, il eût fallu pour cela connaître le latin) : on s’occupait seulement de savoir si le ténor allait se tirer d’une partition bien difficile.
... Mais je suis sorti avec en moi plus de mansuétude. Qui reproche encore à la Marseillaise son côté sanguinaire et raciste (le « sang impur ») ? Mes réflexions m’avaient éloigné de l’essentiel : le frisson musical, massage plutôt que message, qui emporte toute raison.
Article paru dans Golias Hebdo, 7 janvier 2016
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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