Il suppose l’unité d’un peuple, et postule aussi l’unité des autres peuples, par rapport auxquels on se différencie. On connaît en France les histoires dépréciatives sur les Belges, les Suisses, etc.
Mais ces postulations sont des abstractions, qui gomment les individualités concrètes. Si l’on définit ce qu’est le Français, pour l’opposer à d’autres peuples, on ne tient pas compte des différences entre chaque citoyen français, aussi nombreuses qu’il y a d’individus. C’est ce concret des différences qui doit permettre les valorisations. De ce point de vue personnellement je préfère un étranger honnête à un français malhonnête.
Il y a aussi une hâte à généraliser, source de biais cognitifs. Je pense à l’histoire connue d’un anglais débarquant à Calais, qui voyant une française rousse en déduit que toutes les françaises sont rousses.
Cette tendance à définir abstraitement les notions sans tenir compte de leur incarnation, à les dissimiler derrière les idées générales, a été critiquée par Antisthène qui, selon Simplicius, déclara à Platon : « Je vois le cheval mais je ne vois pas la chevalité. » Si l’on en a besoin parfois pour penser, car l’esprit ne se satisfait pas du disparate, il est très dangereux aussi de suivre toujours cette tendance, car au nom de généralités de ce type le risque est de dresser les gens les uns contre les autres. Ainsi Mitterrand avait raison de dire : « Le nationalisme, c’est la guerre. »
Dans l’actuel conflit israélo-palestinien, ce sont de pareilles abstractions qui aveuglent les protagonistes. Le Hamas définit ce qu’est le Juif en général, sans s’occuper des juifs concrets. Certains ne sont pas religieux, tous ne sont pas colons, etc. Et pareillement sur l’autre bord. Tous les palestiniens ne sont pas terroristes ou antisémites (ne serait-ce que parce qu’ils sont eux-mêmes des sémites), etc. Mais non. On se contente d’abstractions généralisantes, par quoi on définit chaque nation, de façon extrêmement agressive.
En outre les abstractions alimentent l’émotion par leur vague même, et emportent loin de soi (e-movere), empêchent de réfléchir aux singularités. C’est une submersion analogue à celle où nous met, en musique, la symphonie totalitaire, aliment des nationalismes.
Aucune solution ne peut sortir de ce conflit, tragique ainsi formulé. La seule façon de progresser serait d’abandonner les œillères de l’abstraction simpliste et manichéenne pour entrer dans le concret des situations. Il y faut un dialogue débarrassé des présupposés, ce qui est le propre de la négociation, et la tâche majeure de la politique. Mais actuellement nous en sommes bien loin.
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