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n la dévalorise souvent, au bénéfice de l’histoire objective : dans une époque positiviste, on préfère les faits aux fées.
Pourtant on oublie que ce qui meut les peuples, c’est moins leur histoire réelle que les mythes qu’ils ont inventés à son propos. L’homme descend du Songe : il est le fruit de ses propres fictions.
Par exemple l’embuscade dont fut victime Roland à Roncevaux nous est bien contée par Éginhard pour ce qu’elle fut : un simple traquenard tendu par des bandits basques, donc chrétiens, contre l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne. Mais nous préférons la version héroïsée de la Chanson de Roland, qui attribue la mort du preux à une lutte contre les Sarrasins. Toute notre épopée nationale vient de cette fiction, de cette légende, qui seule a prévalu.
Comme dit James Steward au journaliste à la fin du film de John Ford L’Homme qui tua Liberty Valance : « Si les hommes préfèrent la légende, alors imprimez la légende ! » – Voyez aussi la déconstruction de la légende du western que fait le film de Clint Eastwood Impitoyable.
J’ai lu sur Internet un article très documenté questionnant l’historicité de ce qu’on nous a rapporté à propos de Jésus : Jésus-Christ, un mythe ? (Source : Lactualité.com, 23/03/2016). [lien]
Il s’inspire de Bart Ehrman, grand spécialiste américain du Nouveau Testament, auteur de l’ouvrage Jesus Before the Gospels : How the Earliest Christians Remembered, Changed, and Invented Their Stories of the Savior (Jésus avant les Évangiles : comment les premiers chrétiens ont conservé, modifié et inventé leurs récits du Sauveur). Il est impossible selon lui que les évangélistes se souviennent exactement des paroles du Christ, alors qu’ils en ont écrit le compte rendu au moins un demi-siècle plus tard.
Allant plus loin, le chercheur américain Richard Carrier, auteur d’On the Historicity of Jesus : Why We Might Have Reason for Doubt (L’historicité de Jésus : pourquoi il est permis d’avoir des doutes), va jusqu’à mettre en doute l’historicité même de Jésus, pour lui un personnage messianique créé par un groupe populaire opposé à l’élite du Temple de Jérusalem. J’ai évoqué cette option dans l’article « Mythistes » de mon Petit lexique des hérésies chrétiennes (Albin Michel, 2005).
Rien de tout cela ne doit émouvoir. Qu’on ait ajouté au message de Jésus, ou qu’il soit un être fantasmatique créé de toutes pièces, reste pour nous ce qu’on nous en a dit, qui fait son chemin dans nos esprits et nos âmes, et guide parfois les meilleurs de nos élans. Cela suffit.
[v. Fiction, Inscription, Invention]
Article paru dans Golias Hebdo, 21 avril 2016
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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